LE FIGARO .- Pourquoi le choix de Richard Ferrand pour la présidence du Conseil constitutionnel pose-t-il, selon vous, un problème de légitimité ? Depuis toujours, le chef de l’État nomme un proche à ce poste...
Dominique CHAGNOLLAUD .- Il ne s’agit pas de nommer le président du PMU mais de celui qui va incarner une des institutions les plus fondamentales de la Ve République, garante en particulier de la constitutionnalité des lois. Le rôle du Conseil constitutionnel a considérablement évolué depuis 1958. Il juge désormais et «parle» au nom de la Constitution. Depuis qu’il a pris son essor à la fin des années 70, tous les prédécesseurs de Laurent Fabius avaient une solide formation juridique. Quand vous êtes à l’hôpital pour une opération grave, vous ne vous confiez pas à un étudiant débutant en médecine. Avec Richard Ferrand à sa tête, le Conseil constitutionnel se retrouverait dans une situation inédite et très problématique.
La nomination d’anciens présidents de l’Assemblée nationale n’est-elle pas une tradition ?
Évidemment, non. Sinon Emmanuel Macron aurait dû nommer François De Rugy. D’ailleurs, celles de Jean-Louis Debré et Laurent Fabius sont intervenues quelques mois avant la fin du mandat de Jacques Chirac et François Hollande. Au surplus, l’actuel chef de l’État a encore presque trois ans devant lui avant de devenir membre de droit à la fin de son mandat, s’il le souhaite. On ne peut reprocher à Richard Ferrand de n’avoir fait que deux années d’études en droit. Certes, comme député, il est vrai qu’il a été en 2018 sur la demande du président Macron, le rapporteur général du projet de révision constitutionnelle et organique, allant dans le sens de la réduction des pouvoirs du Parlement et du bicamérisme, envisageant même un Sénat soumis à un renouvellement intégral dans la perspective des municipales. Puis, après l’échec de la révision, cette fois comme président de l’Assemblée, il a fait adopter la réforme de son règlement, qui régit sa vie interne, allant dans le même sens de brider la liberté de vote et le droit d’amendement des députés.
Quelle est l’utilité d’une audition par les commissions des lois de chaque assemblée pour le candidat du chef de l’État ?
Le Conseil vérifie la conformité des lois avant comme après leur promulgation, grâce à la question prioritaire de constitutionnalité. C’est ainsi depuis la révision de 2008 qui renforce considérablement les pouvoirs du Conseil dans toutes les branches du droit. Et c’est justement pour garantir dans une mesure très modeste la qualité des choix de ses membres que la réforme constitutionnelle de 2008 - issue du Comité Balladur dont j’ai fait partie - prévoit qu’une majorité des 3/5e des suffrages exprimés des deux commissions des lois de chaque assemblée peut s’opposer à cette nomination. Ce qui en pratique est très difficile.
Pourquoi les activités passées de Richard Ferrand devraient-elles susciter la prudence des parlementaires ? En quoi les décisions du Conseil risqueraient-elles d’être fragilisées ?
Les membres proposés doivent être non seulement compétents, légitimes aux yeux de tous et irréprochables. Et j’ajouterais insoupçonnables du point de vue de leur impartialité. Outre sa proximité politique rarissime avec le chef de l’État, le parcours de Richard Ferrand, ancien journaliste et surtout ancien directeur général des Mutuelles de Bretagne, dont il est resté conseiller alors qu’il était député, n’est pas rassurant. Dirigeant actuellement une société de conseils toujours en activité, sans évoquer par le passé son fils recruté comme assistant parlementaire et sa nomination, en juillet dernier, à la tête du conseil de surveillance d’Elsan, premier groupe français de cliniques privées, il est permis de s’interroger.
Vos réserves de constitutionnaliste ne sont-elles pas celles d’un puriste incapable de voir l’intérêt d’un profil non juridique ?
L’argument que ressort aujourd’hui Alain Juppé, selon lequel les professeurs de droit constitutionnel rêveraient qu’il n’y ait plus qu’eux au Conseil, est amusant mais assez daté. Lui qui a revendiqué un droit à l’oubli lors de son audition, après avoir purgé sa peine dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, a la mémoire qui flanche puisque le dernier membre à être nommé dans cette catégorie date de 1998, avec Jean-Claude Colliard. Mais reconnaissons qu’Alain Juppé a de la gratitude envers celui qui l’a nommé puisqu’il se couvre derrière son devoir de réserve, de façon assez grossière, pour défendre, sans le dire, la nomination de Richard Ferrand. Imaginons que ce dernier soit finalement confirmé même de justesse, il retrouverait, outre Véronique Malbec, ancienne procureur générale de Rennes en Bretagne qu’il a nommée, Jacqueline Gourault et Jacques Mézard, tous deux désignés par le président de la République, sachant qu’Alain Juppé fut nommé lui aussi par le chef de l’État. Richard Ferrand aurait donc une majorité à lui tout seul, soit cinq contre quatre, sans avoir besoin de faire jouer sa voix prépondérante en cas de partage. Cette situation rendra suspectes toutes les décisions du Conseil.
Derrière vos critiques, on a l’impression que vous voulez surtout dénoncer une évolution négative de l’institution… Quelle est la tendance ?
Il suffit de se pencher notamment sur les dernières grandes décisions. Sur les retraites, le Conseil a validé dans son entier, à la manière de Ponce Pilate, une procédure fort contestable de vote contraire à la révision de 2008. La loi immigration fut quant à elle vidée de son sens en utilisant l’argument des «cavaliers budgétaires» pour censurer des dispositions soi-disant hors sujet. Le Conseil ne fait plus consensus sur la plupart des bancs, y compris ceux de la doctrine.
Si Richard Ferrand n’est pas le profil de la situation, qui devrait occuper cette fonction ?
Une personnalité qui n’inspire pas d’emblée la méfiance.
Que devrait-on exiger des membres du Conseil ?
Au moins l’équivalent d’une capacité en droit, exigée par le Conseil lui-même pour les juges de proximité (auxiliaires de justice). Il faudrait aussi leur demander de n’avoir aucune condamnation pénale à leur actif et de produire une déclaration de patrimoine à la haute autorité pour la transparence de la vie politique. Je note que cette disposition fut censurée en 2017 par le Conseil lui -même comme «cavalier législatif». Il s’agissait du statut des magistrats. Apparemment, ils n’en sont pas.