Le Luxembourg, le plus grand eldorado des footballeurs français
Les footballeurs français auraient-ils un petit faible pour le championnat luxembourgeois ? Cet hiver, ils sont six Tricolores à avoir rejoint la BGL Ligue, le championnat de première division du Grand-Duché. Cela peut paraître peu, mais les Tricolores représentent 26% des nouvelles recrues, soit autant que les joueurs luxembourgeois. Et cet exode n’est pas nouveau.
Lors de la saison 2023-2024, c’est le Luxembourg qui avait accueilli le plus de joueurs français : 132, d’après l'observatoire du football CIES. Un chiffre en augmentation de 54% sur les cinq dernières années. C'est bien plus que les autres voisins de la France que sont l'Italie (89 joueurs français lors de la saison 2023-2024), la Belgique (75), l'Angleterre (68), l'Espagne (67), la Suisse (62) ou encore l'Allemagne (59)...
Cette saison, 15 des 16 clubs engagés dans le championnat luxembourgeois dénombrent au moins cinq Français (pour certains binationaux) dans leur effectif. La Jeunesse Esch et le FC Mondercange se montrent même très gourmands avec 14 Tricolores dans leur rang. Le résultat d’une attirance mutuelle entre des clubs qui saluent "la formation à la française" et des footballeurs conquis par les arguments du pays aux 672 000 habitants, pris en tenaille entre la France, la Belgique et l'Allemagne.
Alors si les profils des joueurs sont divers, du jeune en manque de temps de jeu à l’issue de sa formation à l’amateur désireux d’évoluer à plus haut niveau, les motivations restent communes. A commencer par la volonté de gagner en visibilité, en intégrant ce qui reste la première division d’un championnat européen, malgré son 48e rang au classement UEFA. Et si les droits TV sont inexistants, la ligue a mis au point un deal avantageux avec la chaîne Apart TV. "Tous les matchs sont retransmis en direct puis disponibles en replay gratuitement. Par rapport au championnat amateur ou semi-professionnel en France, c'est beaucoup mieux", pointe Valentin Steinmetz, joueur français de 27 ans qui a rejoint l’Union Titus Pétange, actuelle 10e de BGL Ligue, en juillet 2022.
Visibilité, opportunités européennes... un tremplin idéal
A l’époque, celui qui a connu la N2 - l'équivalent d'une 4e division - avec Andrézieux (Loire), espère trouver dans ce championnat "une seconde chance d’aller raccrocher le haut niveau". La BGL Ligue étant considérée par les observateurs comme équivalente à la Ligue 2 pour les meilleurs clubs et à la N3 pour les équipes de fin de tableau. Dès sa première saison, Valentin Steinmetz est d'ailleurs pisté par des clubs d’Outre-Rhin, "attentifs à la BGL Ligue car ils savent qu’il y a de bons coups à faire", explique le milieu de terrain.
En plus d’être visible, le championnat luxembourgeois permet de soigner ses statistiques, de plus en plus observées par les recruteurs. "Le championnat est très ouvert dans la façon de jouer, il y a souvent des offensifs qui se retrouvent à 20-25 buts par saison. Pour eux, c'est beaucoup plus facile de trouver un club qu'après une saison à quatre buts en Nationale", estime Romain Ruffier, le gardien tricolore de l’Union Luxembourg. A 24 ans, Rayan Philippe en est un parfait exemple. Formé à Dijon, le Français a réalisé l'exploit, à l’été 2023, d'être le joueur le plus décisif d’Europe (32 buts, 26 passes décisives en 30 matchs avec son équipe d’Hesperange), devant Erling Haaland ! Une performance qui lui a permis de rejoindre l’Eintracht Braunschweig, en deuxième division allemande, dans la foulée.
Pour se faire repérer à l’étranger, les joueurs évoluant au Luxembourg peuvent aussi compter sur la coupe d’Europe. Chaque année, le leader du championnat obtient un ticket pour les tours préliminaires de Ligue des champions, tandis que les deux suivants sont engagés dans les tours de qualifications de la Ligue Europa conférence. L’assurance d’un coup de projecteur plus large. "A chaque campagne européenne, j’ai des coéquipiers qui se font repérer par des clubs que l’on affronte", confie Romain Ruffier, dix matchs sur la scène européenne au compteur. "Je n’aurais jamais eu cette opportunité en France où je n’avais pas le niveau pour la Ligue 1", avoue l’ancien portier d’Amiens en Ligue 2 (saison 2011-2012).
Cadre de vie agréable et petits arrangements
Si beaucoup de joueurs espèrent ainsi être seulement de passage au Luxembourg, l’environnement qu’offre le pays d’une superficie de 2 595 km² est l’un de ses meilleurs arguments quand il s’agit de convaincre les footballeurs français d’y poser leurs valises. Francophone, le Grand-duché "offre un cadre de vie agréable" à proximité de l’Hexagone "ce qui permet à beaucoup de joueurs d’habiter en France, du côté de Thionville ou Metz", souligne Frédéric Maurice, agent de joueurs Fifa.
Staff vidéo, suivi médical…Les clubs luxembourgeois n’ont rien à envier à leurs homologues européens en termes "d'encadrement et d'infrastructures", selon l'agent, cofondateur de l'agence GCTM foot management, spécialisée dans le marché luxembourgeois et belge. "Sur ce point, les clubs ont énormément progressé. Aujourd'hui, certains ont des structures qui sont plus intéressantes que des clubs que j'ai déjà faits en Nationale ou en Ligue 2", reconnaît même Romain Ruffier, qui évolue au Luxembourg depuis 2013. La majorité des footballeurs jouent également six jours sur sept, comme dans les clubs professionnels de l’Hexagone, même si le championnat est considéré comme semi-professionnel.
Pour convaincre, les clubs luxembourgeois savent aussi se montrer relativement attractifs sur le plan financier. D’après Valentin Steinmetz, les salaires oscillent entre une centaine d’euros pour les jeunes encore étudiants, à 6000-7 000€ pour les mieux lotis, avec une moyenne autour des 2 000€. Un montant similaire à ceux pratiqués en National 2. En revanche, les clubs peuvent se montrer généreux en prime. "Dans mon club, c’est assez intéressant, ils récompensent souvent des séries de victoires. Tu peux avoir aussi de bonnes surprises, remporter un gros match et voir ta prime être doublée", précise le milieu de terrain.
Au moment de signer le contrat, il n’est pas rare également que les clubs proposent plus qu’un salaire. "Ils peuvent vous dire, on vous donne 2 000€, plus un travail pour vous et un travail pour votre compagne", révèle Romain Ruffier. Diplômé en droit, le gardien de but a ainsi exercé comme agent immobilier puis clerc de notaire au gré de ses changements de club. De retour au Racing Luxembourg après un passage à Differdange, l'un des cadors du championnat, le Français a cette fois négocié pour être directeur sportif, tout en restant joueur. "Le Luxembourg est un pays qui t’aide beaucoup avec les contacts. Au final, tu t’en sors avec un très gros salaire que tu n’aurais jamais eu en France et une plus grande stabilité", estime le gardien de but.
Les contrats, un axe à améliorer
Comme lui, près de 20% des joueurs évoluant en BGL Ligue travaillent en parallèle du football. Si tous sont considérés comme joueurs professionnels aux yeux de la Fifa, dans les faits, les contrats que distribue la première division luxembourgeoise les tiennent éloignés du monde professionnel. D’après Marc Diederich, juriste à la fédération luxembourgeoise de football (FLF), 70% des joueurs auraient un contrat dit de louage d’ouvrage. Spécificité luxembourgeoise, ce type de contrat équivaut à être indépendant, les joueurs ne cotisant pas directement pour la sécurité sociale et les impôts. "Il y a des discussions avec différents ministères pour mieux encadrer ces contrats. Par le passé, certains joueurs ne se sont pas assurés et les impôts ou les organismes de sécurité sociale sont revenus vers eux pour réclamer les indemnités qu'ils n'ont pas payées", raconte Marc Diederich.
Les autres footballeurs bénéficient d’un contrat de travail. Mais là encore, tout n’est pas parfait. "Les contrats ne pas totalement adaptés au métier de footballeur. Par exemple, dans les contrats de travail, on a le droit à 25 jours de congé, c’est la loi au Luxembourg. Mais comment ça se passe pour un footballeur qui peut avoir des trêves de quatre ou cinq semaines ?", questionne Romain Ruffier.
Un pari pas toujours gagnant
Si le Luxembourg est connu comme le pays des banques, ses clubs de foot ne sont pas exempts de problèmes financiers. Le 1er décembre, les joueurs du Swift Hesperange, 4e du championnat, ont fait grève lors de leur rencontre face à Mondorf à cause d’impayés. Quelques mois plus tôt, quatre clubs dont celui-ci, n'avaient pas obtenu leur licence UEFA, nécessaire pour participer à la coupe d’Europe, en raison d’absence d’arriérés de paiement envers le personnel du club, et/ou les administrations sociales et/ou fiscales.
La BGL Ligue ne garantit pas un destin à la Rayan Phillippe à tous les Français qui viennent y tenter leur chance. Lors de la saison 2023-2024, Yanis Lhéry, en prêt de l'AS Saint-Etienne, n'avait pas convaincu le Progrès Niederkorn. Le joueur de 20 ans avait quitté le Grand-duché après un an et seulement 148 minutes de jeu en championnat. "Certains joueurs se sont perdus ici parce qu'ils ont pensé que ça allait être facile, mais ça ne l'est pas. Le championnat luxembourgeois reste exigeant, il y a notamment beaucoup de duels", analyse Frédéric Maurice.
De son côté, la Fédération luxembourgeoise a mis en place des quotas pour soutenir la formation locale. Depuis juillet 2023, les clubs doivent inscrire sur leur feuille de match au moins cinq joueurs ayant débuté leur carrière au Luxembourg. Parmi les titulaires, il doit y avoir également a minima deux joueurs formés au Grand-Duché. Pour les Français, se faire une place n'est donc pas assuré. Mais cela ne semble pas les décourager. Actuellement, 122 Français évoluent en BGL Ligue.