Saint-Nazaire : une association s’oppose à l’irruption d’une brasserie sur un site historique

Le bâtiment végète depuis une trentaine d’années à l’embouchure de l’estuaire de la Loire, silencieux et délaissé face à l’océan. Cette belle désolation, l’un des derniers volumes du vieux Saint-Nazaire, veille en solitaire sur l’Atlantique, à la pointe sud de l’île dite du Petit Maroc. Trois nefs, une haute cheminée de brique, une façade fermée d’une porte en fer forgé surmontée d’une horloge, des embrasures scandées par la charmante alternance de la grenade des briques et du blanc cassé de la pierre de taille forment le corps de l’ancienne usine élévatoire qui régulait, au siècle précédent, le niveau d’eau du bassin nazairien. Désaffectée en 1993, abandonnée en 2015, la bâtisse se délabre. La rouille ronge la ferronnerie. Des cerclages de la cheminée se défont. Le cadran ne donne plus l’heure. Des fissures, des cassures, des pigeons et des tentatives d’intrusions et de squats harassent le site. L’installation d’une brasserie pourrait signer la renaissance de ces volumes fatigués. Mais c’était sans compter sur les détracteurs du projet.

«On laisse le bâtiment se détériorer, c’est vraiment très dommage. Laisser dépérir ce rescapé de l’histoire de la ville et des bombardements de la Seconde Guerre mondiale  est terriblement triste», regrette Michel Morin. Membre de l’association du Vieux Saint-Nazaire, ce riverain du Petit Maroc, installé depuis 45 ans à Saint-Nazaire, s’inquiète de la transformation en brasserie de l’ancienne usine élévatoire inaugurée en 1911. Outre les nuisances sonores et les problèmes de stationnement attendus, l’habitant se dit «plus que sceptique sur la viabilité économique du projet» et sur la commercialisation de l’ancienne usine. «Il faut préserver ces bâtiments, en faire quelque chose qui a du sens», suggère-t-il.

«Un lieu de vie accessible à tous»

Tout aussi consternés par la vision lucrative de ce projet de brasserie censé redynamiser le Petit Maroc, d’autres habitants sont également montés au créneau. Après avoir obtenu en décembre 2020 l’inscription de l’usine élévatoire au titre des monuments historiques, l’association du Vieux Saint-Nazaire cherche aujourd’hui à faire annuler, par un recours, le permis de construire de la brasserie, accordé en avril 2021 par la municipalité, alors que le chantier avait pris du retard avec la crise du Covid-19. Attendue en fin d’année dernière, la décision du tribunal administratif devrait désormais tomber «au cours du premier semestre», indique au Figaro le Grand Port de Saint-Nazaire, propriétaire du bâtiment.

L’usine élévatoire n’en est plus à quelques mois près. Au début des années 2010, la région a un temps caressé l’idée de transformer cette friche en centre d’interprétation et de valorisation de l’estuaire de la Loire (le «Civel»). Le projet a été enterré avec l’arrivée de Bruno Retailleau à la tête de la collectivité, en 2016. Après de nouvelles années de tergiversation, le groupe nantais Les Brassés a finalement remporté en 2019 un appel à projet de l’agglomération et du Grand-Port. L’estaminet devait ouvrir ses portes en 2023. Deux ans plus tard, le dossier demeure au point mort.

Joint par Le Figaro, le gérant des Brassés n’a pas souhaité s’exprimer au sujet de son projet nazairien. En 2019, le groupe ambitionnait de transformer le site historique en «un lieu de vie accessible à tous», en dotant l’usine d’une capacité d’accueil de 600 places, d’une conciergerie, d’un espace privatisable avec vue panoramique ou encore d’un atelier de bière artisanale capable de produire 25.000 litres par an. En 2021, le porteur du projet, Gabriel Charin, assurait à L’Écho de la Presqu’île, que le chantier se devait de respecter l’architecture et les équipements de l’usine élévatoire. «On ne modifie quasiment rien. Au contraire, on la remet en état», indiquait-il. Au programme : restauration des peintures murales et des revêtements en mosaïque, mise en valeur de la machinerie par des percées, rénovation de la façade.

Valoriser les arts et métiers du port

Dans un courrier envoyé le 15 février à la préfecture et au Grand Port, l’association du Vieux Saint-Nazaire a demandé aux autorités de prendre des mesures pour sauvegarder l’usine élévatoire et pour réévaluer l’usage commercial qui doit en être fait. Une demande de classement aux monuments historiques est toujours en cours d’instruction, pour compléter l’inscription du site. «Il y a tellement mieux à faire qu’une brasserie. Notre association défend par exemple l’installation d’un pôle pédagogique de valorisation des arts et métiers du port», glisse Michel Morin.

En attendant que la justice administrative se prononce sur la brasserie, les bâtiments anciens du Petit Maroc continuent de trinquer. L’association du Vieux Saint-Nazaire cherche ainsi à préserver un bâtiment voisin, celui du service sanitaire maritime. Lui aussi rescapé des bombardements alliés, qui ont rasé près de 85% de la ville en 1942-1944, cette bâtisse servait aux contrôles de santé, pour éviter la propagation de maladies dans le port. Propriété de la Marine nationale, le bâtiment désaffecté pourrait être prochainement mis en vente, affirme l’association. «Ce serait l’occasion pour la ville de Saint-Nazaire de récupérer cet établissement qui porte en lui la mémoire d’une facette oubliée de l’activité portuaire», espère Michel Morin. Entre l’usine élévatoire et le service sanitaire, une parcelle vide envahie d’herbes sauvages attend aussi de connaître l’avenir du quartier. Elle a échappé de peu à un projet d’hôtel quatre étoiles, haut de six étages. Une première victoire pour les riverains.