La chanteuse Souad Massi invite la France et l’Algérie à « discuter comme dans un couple »

C'est l'une des artistes qui incarne le mieux l'étroitesse des relations franco-algériennes : Souad Massi est « triste » de la crise diplomatique entre ses deux pays, qui doivent selon elle « discuter comme dans un couple », a-t-elle dit lors d'un entretien à l'AFP. En concert à la Philharmonie de Berlin vendredi dernier, la chanteuse et guitariste de 52 ans a indiqué préparer un onzième album qu'elle prévoit pour février 2026, juste avant le début d'une nouvelle tournée en mars.

Elle a aussi récemment reçu des « propositions pour aller chanter en Algérie ». Ce serait son premier concert depuis dix ans dans son pays d'origine. « J'espère vraiment y aller parce que mon public algérien me manque énormément », dit-elle. Pour des raisons personnelles et une certaine appréhension, la native d'Alger n'y est pas retournée depuis les manifestations contre le pouvoir qu'elle avait soutenues en 2019.

« Une surenchère de haine »

Si le mouvement du Hirak a abouti à la démission du président Abdelaziz Bouteflika, c'est son ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune qui lui a succédé. « Je n'ai pas les compétences pour donner un bilan. C'est vrai qu'on aspire à une vie meilleure en Algérie, avec plus de liberté d'expression », commente prudemment l'artiste. L'actuelle crise diplomatique entre Paris et Alger la rend « triste », le « mot qui revient » aussi chez ses deux filles, qui sont nées en France, et ses proches en Algérie qui « ne comprennent pas » cette « course vers une surenchère de haine ».

« Je n’ai pas les compétences pour donner un bilan. C’est vrai qu’on aspire à une vie meilleure en Algérie, avec plus de liberté d’expression »

Souad Massi

Les relations entre la France et l'Algérie, historiquement tumultueuses, se sont beaucoup détériorées depuis quelques mois. Hormis la condamnation jeudi dernier à cinq ans de prison ferme de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, Paris et Alger ont engagé un bras de fer à propos du refus de l'Algérie de reprendre certains de ses ressortissants que la France veut expulser.

Attachée à « la liberté d’expression »

« Je suis franco-algérienne et très attachée à la France, comme je suis attachée à l'Algérie. Je crois vraiment qu'un discours serein s'impose, mais entre diplomates. Il ne faut pas donner la parole à n'importe qui », dit Souad Massi. « Pour tous ces jeunes, ça serait bien que ces personnes responsables s'assoient autour d'une table et discutent, comme dans un couple », ajoute-t-elle. Quant à Boualem Sansal, « malade et âgé », elle redit son attachement à « la liberté d'expression ».

Souad Massi - Dessine-moi un pays  (2022)

Arrivée en France à la fin de la « décennie noire » en Algérie, à l'époque minée par guerre civile et les attentats, Souad Massi y a lancé une carrière couronnée de succès depuis son premier album en 2001. Après un quart de siècle en France, elle dit y ressentir « plus de racisme » au quotidien, notamment via ses filles qui lui rapportent « des réflexions par rapport à leur couleur, à l'origine de leur mère ». « Un discours haineux s'est développé ces derniers temps », regrette-t-elle.

Sur le plan mondial, celle qui chante les injustices, du Congo à l'Afghanistan, se dit « inquiète » pour « la démocratie » et « la liberté d'expression ». Elle vise notamment Donald Trump : « Quand on coupe les subventions pour la recherche scientifique, pour les médecins, pour les universités, pour le ministère de l'Éducation, on peut être inquiet. »

Dans ce contexte troublé, la chanteuse, dont les influences vont du classique au hard-rock, dit vouloir se servir du rock, « un style de musique revendicatif, qui reflète aussi cette période de luttes », pour son prochain album. Souad Massi, enfin sortie d'un drame familial - son ex-mari a été condamné à onze ans de réclusion en appel pour avoir tenté d'assassiner leurs deux filles tout en essayant de se suicider - qui l'a « rendue encore plus forte », continuera à chanter « tant que (elle aura) des choses à défendre et à raconter ».