Notre critique d’Une bataille après l’autre : l’Amérique chaos debout

On y est presque. La pagaille règne. À la frontière mexicaine, des migrants s’entassent dans des camps de rétention. Des révolutionnaires à moitié hippies posent des bombes partout. La répression ne plaisante pas. Bienvenue en Amérique. Laquelle ? Celle d’aujourd’hui ou d’après-demain ? La date n’est pas précisée. En tout cas, seize ans plus tard, Bob Ferguson (Leonardo DiCaprio) continue le combat, sous un nom d’emprunt, planqué au fin fond de la forêt avec la fille qu’il a eue avec une activiste noire (la terriblement charismatique Teyana Taylor).

Leonardo DiCaprio, qui s’est fabriqué la tête de Nicholson dans Shining (barbichette et robe de chambre, et en prime un petit chignon sur la nuque), fume des pétards à longueur de journée, regarde La Bataille d’Alger à la télévision - ô clin d’œil - en se saoulant. Dehors, les autorités le traquent. Son ennemi principal est un sergent réactionnaire à mort, ce qui ne l’empêche pas d’être un obsédé sexuel, incarné par un Sean Penn sidérant, avec son tic aux lèvres et sa moumoute poivre et sel.

Passer la publicité

Une tragicomédie spectaculaire

DiCaprio s’agite, hagard, en spécialiste des explosifs dépassé par les événements, le cerveau ramolli par les tonnes de drogue qu’il a absorbées. Il n’arrive pas à comprendre son adolescente et ses amies. Dans sa bouche, l’expression « iel » a du mal à passer. Extrémiste peut-être, mais ne comptez pas sur lui pour devenir un homme déconstruit. Il a assez de problèmes comme ça. L’abus de substances lui joue des tours. Pas moyen de se rappeler le mot de passe nécessaire pour joindre son contact téléphonique. La marijuana a de ces inconvénients. La séquence dure, elle est tordante. Benicio Del Toro a enfilé le kimono d’un prof de judo survolté. L’armée ne relâche pas sa surveillance. Il faut fuir, toujours fuir. Cela s’effectue à un rythme d’enfer.

Après Inherent Vice, Paul Thomas Anderson s’inspire pour la seconde fois, d’un roman de Thomas Pynchon, Vineland, qui se déroulait sous Reagan. Les choses n’ont pas tellement changé. Les États-Unis sont en proie au chaos, entre suprémacistes blancs et terroristes sous acide. Visiblement, la situation laisse à désirer. La violence n’épargne aucun côté de la barricade. L’histoire récente fournit les ingrédients mélangés dans ce shaker insensé où s’affrontent les émules du Black Power et les adeptes du conservatisme.

Anderson mène sa tragicomédie comme on conduit une Ford Mustang sur une route déserte : pied au plancher. C’est la bonne méthode. On n’oubliera pas la poursuite dans ces paysages grandioses qui réduit celle de Bullitt à un embouteillage place de la Concorde. Le résultat oscille entre burlesque et inquiétude, interrogatoires musclés et sociétés secrètes, sexualité torride et dénonciation. Tel est notre monde. Il n’est guère glorieux, mais quel spectacle ! Mieux vaut en rire. C’est ce qui se passe. On a là un prodige, un génie. Il filme les doigts dans la prise ce portrait d’un pays au bord du gouffre. Le cinéma est son langage naturel, l’air qu’il respire. Quelle claque !

La note du Figaro 3,5/4