Crise politique en Israël : on vous explique pourquoi Benyamin Nétanyahou s'attaque aux institutions du pays

Il est accusé de "dérive autoritaire" par les Israéliens descendus dans la rue. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, est sous le feu des critiques pour une série de décisions prises dans les dernières semaines de mars. Après avoir réclamé avec fracas, jeudi 20 mars, la démission du patron du Shin Bet, les services de renseignement intérieurs israéliens, le chef du gouvernement le plus radical de l'histoire du pays a annoncé trois jours plus tard le renvoi de la procureure générale, dont l'une des missions consiste à conseiller l'exécutif. En cause : un avis qui n'a pas plu au Premier ministre.

Empêtré dans différentes affaires judiciaires – et accusé de faire durer la guerre dans la bande de Gaza face au Hamas en ayant en tête des considérations purement politiques – le dirigeant de 75 ans peut encore compter sur son alliance avec l'extrême droite. Mais cette entente semble lui coûter de plus en plus cher, et le pousse désormais à s'attaquer aux plus hautes figures politiques et juridiques du pays. 

Des renvois pour manque de "confiance"

Parmi ces batailles, le Premier ministre israélien a donc entamé un bras de fer avec Ronen Bar, chef du Shin Bet depuis octobre 2021. Cet officier nommé par le précédent gouvernement était censé rester en fonction jusqu'en 2026. Mais après des mois d'opposition sur divers sujets, Benyamin Nétanyahou a finalement réclamé sa démission, ce que le cabinet gouvernemental a validé à l'unanimité le 21 mars.

Ronen Bar, le chef du Shin Bet (services de renseignement intérieur israéliens), dans un lieu non spécifié du centre du pays au moment de sa nomination, le 11 octobre 2021. (YOSSI ZELIGER / AFP)
Ronen Bar, le chef du Shin Bet (services de renseignement intérieur israéliens), dans un lieu non spécifié du centre du pays au moment de sa nomination, le 11 octobre 2021. (YOSSI ZELIGER / AFP)

Le Premier ministre a invoqué "une perte de confiance professionnelle et personnelle persistante" en Ronen Bar, des explications que ce dernier a rejeté en bloc dans une lettre envoyée le jour même au gouvernement, que franceinfo a pu consulter. "Ces propos cachent le véritable motif derrière la décision de clore mon mandat", a-t-il écrit, accusant l'exécutif de vouloir "empêcher le Shin Bet de mener sa mission."

"Suggérer que la position du Shin Bet concernant (...) l'enquête sur les évènements du 7-Octobre [2023] et les actions qui y ont mené puisse justifier le renvoi de son chef reflète une vision déformée de la loyauté. Une loyauté personnelle, au lieu d'une loyauté envers le public."

Ronen Bar, chef du Shin Bet, le renseignement intérieur israélien

dans une lettre au gouvernement

Pour Benyamin Nétanyahou, ce renvoi a constitué le premier épisode d'une crise plus large. Quelques heures après le vote du gouvernement pour faire tomber Ronen Bar, la Cour suprême israélienne a pris "une mesure provisoire suspendant" le limogeage jusqu'au 8 avril, le temps d'examiner le dossier. Cette décision n'a pas arrangé les relations entre le gouvernement et la Cour, qui avait déjà enterré en janvier 2024 la très controversée réforme du système judiciaire et veut nommer une commission d'enquête sur les attaques du 7-Octobre. Son président, Isaac Amit, fait d'ailleurs partie des cibles privilégiées du camp Nétanyahou. 

En marge de ce bras de fer, le Premier ministre a réclamé la démission de la procureure générale israélienne, Gali Baharav-Miara, ce que son cabinet a validé dimanche à travers une motion. Une nouvelle fois, l'exécutif a évoqué dans son réquisitoire un manque de confiance, mais aussi "un comportement inapproprié" et des positions "antigouvernement". Ces derniers jours, la magistrate avait rappelé à Benyamin Nétanyahou le cadre légal des licenciements de hautes figures telles que Ronen Bar, comme l'a rapporté le Times of Israël, tout en lui expliquant qu'il ne pouvait pas nommer un nouveau chef du Shin Bet aussi vite qu'il le voulait.

La procureure générale d'Israël, Gali Baharav-Miara, lors d'un conseil des ministres à Jérusalem, le 5 juin 2024. (GIL COHEN-MAGEN / AFP)
La procureure générale d'Israël, Gali Baharav-Miara, lors d'un conseil des ministres à Jérusalem, le 5 juin 2024. (GIL COHEN-MAGEN / AFP)

Dans sa propre lettre de défense, Gali Baharav-Miara a accusé le gouvernement de vouloir se placer au-dessus de la loi et d'agir sans contrôle. Elle a aussi déclaré que l'objectif réel de son renvoi était de fermer les yeux sur des "actions illégales prises par le gouvernement". Dans cette affaire, Gali Baharav-Miara a reçu le soutien de nombreux manifestants ce week-end, mais aussi du monde judiciaire et de l'ensemble de ses prédécesseurs. Son renvoi effectif n'est pas totalement acté, et pourrait prendre plusieurs semaines.

Le "Qatargate" en toile de fond

Pour mieux saisir ces différends, il faut rappeler le contexte judiciaire qui entoure Benyamin Nétanyahou et son entourage. Depuis le mois de février, un scandale de corruption, le "Qatargate", secoue Israël et son gouvernement. Comme le rappelle France 24, trois proches du Premier ministre sont notamment accusés d'avoir reçu de l'argent du Qatar pour "améliorer l'image" de l'émirat gazier. Même si cette enquête ne le vise pas pour l'instant, "l'une des questions cruciales serait de savoir si le Premier ministre était au courant", a expliqué sur le plateau de la chaîne Karolina Zielinska, chercheuse spécialiste d'Israël à l'université de la Vistule à Varsovie.

Par ailleurs, comme l'a écrit le quotidien israélien Haaretz, Benyamin Nétanyahou est pointé du doigt pour avoir laissé le Qatar financer le Hamas pour mieux s'imposer dans la bande de Gaza entre 2018 et 2021 – mais aussi pour s'armer en détournant une partie des fonds qataris. C'est d'ailleurs ce qu'a souligné l'enquête du Shin Bet rendue début mars concernant les attaques du 7-Octobre. 

Benyamin Nétanyahou chercherait donc à faire taire "tous ceux qui menacent sa survie politique", explique à franceinfo Revital Madar, politologue à l'Institut universitaire européen de Florence (Italie). Tout en défendant ses alliés, comme le ministre de l'Intérieur, Itamar Ben-Gvir, figure d'extrême droite revenue au gouvernement le 20 mars. Pour justifier le limogeage du patron du Shin Bet, le Premier ministre a aussi évoqué lundi une prétendue enquête "secrète" du renseignement intérieur sur Itamar Ben-Gvir et visant à "faire tomber le gouvernement de droite", selon son cabinet.

"Même s'il reste de droite, Benyamin Nétanyahou n'a plus vraiment d'idéologie. Il protège surtout ses intérêts personnels et fait tout pour que les enquêtes qui le visent lui et ses proches soient abandonnées."

Revital Madar, politologue

à franceinfo

Si le Premier ministre se permet d'agir de cette façon, "c'est parce qu'il se sent renforcé par le fait que les Etats-Unis valident sa guerre à Gaza, et qu'il profite d'une totale impunité au Liban et en Syrie", analyse Revital Madar. Dans sa méthode, Benyamin Nétanyahou "imite" aussi le président américain Donald Trump, estime la chercheuse. "On l'a notamment vu lorsqu'il a déclaré tout de suite qu'il ne respecterait pas la décision de la Cour suprême [sur la suspension du limogeage de Ronen Bar]", retrace-t-elle.

"Son virage autoritaire est déjà connu. Ce qui est nouveau, c'est qu'il s'attaque à des gens de plus en plus importants, note la chercheuse. A part ces figures du monde judiciaire, on se demande bien qui pourrait l'arrêter désormais, car les dirigeants sont très liés à lui, l'opposition est divisée, et il profite aussi du silence international."