Que deviennent nos photos quand la famille a disparu ? C’est un peu la question cruciale que pose Le Garçon, ce long-métrage singulier aussi fort que troublant coréalisé par Zabou Breitman et Florent Vassault.
Mi-documentaire mi-fiction, cet Ofni (objet filmique non identifié) fascinant débute il y a cinq ans devant l’étal d’une brocante parisienne où le réalisateur et monteur Florent Vassault (La Belle époque, Il Boemo, Le Tigre et le Président) déniche un lot de plus de 200 photos de famille dans une enveloppe kraft.
En les étalant toutes sur la table, une évidence se fait jour pour Zabou Breitman (bientôt à l’affiche du film Cassandre): ces clichés racontent sur plusieurs décennies l’histoire d’une famille française. Une famille inconnue qu’on a pourtant l’impression de connaître. Au centre de l’attention, un garçon dont le regard doux et triste intrigue derrière les sourires de façade. Comme le précise Zabou dans le film : « Il semblait être le petit dernier que l’on voit grandir au fil des photos. » L’actrice réalisatrice propose alors à Florent Vassault de faire un film à quatre mains.
Tandis que le documentariste part à la recherche de ce mystérieux garçon, la réalisatrice de Se souvenir des belles choses va imaginer vingt-quatre heures de la vie du jeune homme en s’inspirant des tirages. Une règle tacite prévaut : Zabou ne doit jamais être informée des progrès de l’enquête durant le tournage. Seuls quelques extraits d’entretiens recueillis par Florent Vassault lui sont transmis pour servir de dialogues à son film qui réunit François Berléand et Isabelle Nanty dans le rôle des parents de ce drôle de « soldat inconnu du 7e art», incarné à l’écran avec justesse et sobriété par Damien Sobieraff.
Pendant ce temps-là un gigantesque puzzle en forme de jeu de piste se met en place. L’enquête documentaire tient le spectateur en haleine car elle se focalise surtout sur de menus détails. Un muret sur le littoral normand où ont posé le père et la mère du garçon, le papier peint d’une petite maison de vacances, la forme caractéristique d’un HLM parisien, la façade d’un restaurant parisien baptisé La Cigogne basque, le nom d’un village du Bourguignon inscrit au dos d’une des photos. Un voyage cinématographique hors des sentiers battus s’organise, ainsi que la rencontre de dizaines et dizaines de personnes qui auraient pu connaître l’inconnu des photos.
Le film avance sur ses deux jambes, documentaire et fictionnelle, sans jamais perdre l’équilibre. Cette quête pudique et pleine de nostalgie, faite d’errance, de tâtonnements et de coups de chance mènera vers une résolution de l’énigme tout à fait bouleversante. La découverte de l’identité de l’inconnu reste un moment fort du film. Par bien des aspects, Le garçon évoque le livre d’Anne Bérest La Carte postale (Prix Renaudot 2021) qui contait l’enquête poignante de l’écrivaine à partir de la réception d’une simple carte postale qui va la replonger dans les secrets de famille juive foudroyée par la Shoah.
Rien de tel pour Le Garçon. Pourtant, grâce à un montage alternatif intelligent et sensible, la fiction réalisée par Zabou se mêle adroitement à la recherche de la vérité. L’enquête dialogue avec les scènes familiales imaginées par Zabou. Des concordances s’établissent, inattendues, romanesques, qui redonnent vie à cet énigmatique inconnu « dont le destin mérite d’être raconté », comme le précise le sous-titre du film.
Œuvre hybride, Le Garçon laisse aux pièces du puzzle le temps de s’assembler. Au-delà de l’anecdote, le film dévoile bientôt une certaine image de la France de ces 50 dernières années, mettant subtilement en lumière des récits de vie, des rêves, et les regrets d’un héros du quotidien, dont le portrait contrasté se dévoile progressivement comme une photographie sortie des bains révélateurs d’une chambre noire...