«Une ville utopique inspirée des pyramides» : le New York Times en extase devant la Grande-Motte

«Balladur était un visionnaire, il a anticipé la ville de demain». Dans un article très élogieux sur la Grande-Motte, la journaliste du New York Times Alice Cavanagh donne la parole à deux photographes parisiens, Laurent Kronental et Charly Broyez, qui publieront bientôt et en deux séries leurs clichés pris dans la «Cité Oasis». Tous deux s’extasient devant l’œuvre de Jean Balladur, qui a créé une ville «écologique», «futuriste», faisant office de «modèle idéologique pour les futurs développements urbains».

Or, la journaliste le rappelle : la Grande-Motte et son créateur avaient été accueillis avec mépris. Alice Cavanagh évoque même le magazine L'Architecture d'Aujourd'hui qui a qualifié en 1972 la ville de «pollution architecturale». Alors peut-on vraiment s’extasier, et en ces termes, de la station balnéaire construite à partir de rien en 1965 ?

Créée pour le tourisme

Dès ses premières lignes, Alice Cavanagh le rappelle : «la Grande Motte a vu le jour en 1965, comme l'une des nombreuses stations balnéaires pour classes ouvrières construites par le gouvernement français en réponse au “boom” des vacances de l'après-guerre». La ville sortie des sables il y a presque 60 ans fait partie de la Mission Racine, lancée sous Charles de Gaulle, qui visait à aménager près de 200 km de littoral entre la Camargue et les Pyrénées. Le projet ambitionnait de faire voir le jour à huit stations balnéaires, afin d’héberger les familles ouvrières qui obtinrent simultanément quatre semaines de congé par an. Il s’agissait d’une «alternative moins chère et familiale aux attractions plus huppées de la Côte d'Azur», comme le souligne la journaliste. 

Cette dernière estime que Jean Balladur souhaitait «créer un lieu hors du temps : un paradis perdu presque envahi par la verdure». Elle décrit les «immeubles d'habitation futuristes de La Grand Motte», dont les formes évoquent les pyramides précolombiennes de Teotihuacan, au Mexique. «Disposés le long d'une plage de sable et autour d'un port artificiel», ces bâtiments dont «la position et la forme» sont conçues «pour atténuer le vent et les embruns salés offrent un abri aux immenses jardins que Balladur a fait planter en contrebas». La journaliste prend plaisir à décrire ce décor «dépaysant», «moderniste» et «utopique».

Découvrir un «monde parallèle»

Laurent Kronental et Charly Broyez partagent l’avis de la journaliste. Le premier déclare : «C'est comme si nous découvrions un monde parallèle dans lequel nous ne savons pas si nous avons trouvé les vestiges d'une ancienne civilisation ou si nous sommes entrés dans le futur». Il va même plus loin. Selon lui, Balladur était «en avance sur son temps», en partie parce que son rêve d'une ville immergée dans la nature a fait de lui «un environnementaliste»

À ne pas confondre avec un écologiste, un environnementaliste se concentre sur les conséquences environnementales des activités humaines, tout en considérant que de simples aménagements de notre système social et économique permettront de les contenir. Bien moins radicalement engagé politiquement que l’écologiste, il soutient les réglementations gouvernementales qui limitent la pollution et protègent les espèces menacées, tout en encourageant les pratiques respectueuses de l'environnement, telles que le recyclage et les économies d'énergie.

Laurent Kronental argue que Jean Balladur a consacré «plus des deux tiers du site à la végétation, en plantant des espèces d'arbres capables de résister à la chaleur, au vent et aux embruns», en installant de nombreux sentiers pédestres et en limitant les voitures à la périphérie. 

Jean Balladur environnementaliste ?

Cependant, l’importance des arbres dans l’architecture de la Grande-Motte ne peut suffire à qualifier son architecte d’environnementaliste. Comme le rappelle la journaliste dès les premières lignes de son article, le matériau de construction principal de la station balnéaire est le béton. Or ce matériau créé à base de ciment est très polluant, et constitue aujourd’hui 7% des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du globe. 

De plus, pour urbaniser le littoral, marqué par les lagunes et les marécages, il a fallu profondément modifier l’environnement local. Des lagunes ont été asséchées, et les bassins-versants de la région modifiés par la création de barrages (qui favorisent aujourd’hui l'érosion). La démoustication voulue par la mission Racine s’est faite notamment par un assèchement des zones humides ainsi que l'utilisation de produits chimiques.

En attendant, le Golfe du Lion doit désormais se confronter à l'héritage de la mission Racine et se tourner vers des activités plus durables en appliquant le plan Littoral 21. Ce dernier s’est fixé trois enjeux pour 2027 : la résilience écologique, l’économie bleue et la cohésion territoriale.