Sahara occidental : la reprise des vols directs depuis l'Europe, un pari incertain

Le Sahara occidental en quelques heures de vol. Depuis quelques mois, des compagnies aériennes ont ouvert des liaisons directes pour ce territoire au statut controversé, revendiqué par le Maroc et des indépendantistes soutenus par l'Algérie.

En trois heures et pour une vingtaine d'euros, Virginia Santana peut désormais aller depuis Madrid une fois par semaine à Dakhla, sur une langue de terre en plein Atlantique, où cette entrepreneuse supervise la construction d'un hôtel.

Financé par des investisseurs espagnols, son futur établissement illustre l'essor touristique de la ville et, plus généralement, celui de la région, poussé par les autorités marocaines.

Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental, au statut non défini par les Nations unies, est contrôlé à environ 80 % par le Maroc, mais revendiqué depuis 50 ans par les indépendantistes du Front Polisario. Le référendum d'autodétermination prévu par l'ONU n'a jamais pu être organisé.

Mais les choses ont bougé au cours des dernières années, Madrid en mars 2022 puis Paris en juillet 2024 ayant choisi de rompre avec leur position de neutralité et d'appuyer la position de Rabat dans ce dossier, au grand dam de l'Algérie.

Et pour le Maroc, le développement de cette région de 266 000 km² au riche sous-sol minier et aux côtes poissonneuses passe par son accessibilité.

Des compagnies européennes comme Ryanair ou Transavia, filiale d'Air France-KLM, ont franchi le pas et proposent désormais des vols directs depuis Madrid et Paris, encouragées par les autorités marocaines, qui leur offrent des allègements fiscaux.

"Imposer le fait accompli de l'occupation"

En 2024, "les dernières connexions lancées ont permis de doubler la capacité internationale de l'aéroport de Dakhla, avec environ 47 000 sièges disponibles", s'est réjouie auprès de l'AFP la ministre marocaine du Tourisme, Fatim-Zahra Ammor. 

Du côté du Front Polisario, cette évolution est sans surprise accueillie avec beaucoup de réticence : les autorités marocaines veulent "imposer le fait accompli de l'occupation du Sahara occidental en impliquant des acteurs économiques", dénonce auprès de l'AFP Oubbi Buchraya, représentant du mouvement auprès des agences des Nations unies à Genève. 

Tout accord sur ce territoire doit être approuvé par les deux parties prenantes, mais les compagnies aériennes "opèrent en dehors de la légalité internationale", affirme Oubbi Buchraya, qui menace de recours en justice les transporteurs européens en cas de poursuite de leurs activités.

À ses yeux, la Commission européenne lui a, du reste, déjà donné raison : en décembre, elle avait rappelé à l'ordre les transporteurs européens, les informant que "l'accord aérien euro-méditerranéen entre l'UE et le Maroc ne s'appliqu(ait) pas aux routes reliant le territoire d'un État membre de l'UE au territoire du Sahara occidental".

 En Espagne, l'Agence de la sécurité aérienne affirme, pour sa part, s'être appuyée sur l'article 6 de la Convention de Chicago, relative à l'aviation civile internationale, pour valider la ligne Madrid-Dakhla.

En d'autres termes, le pays autorise Ryanair à décoller et voler dans son espace aérien, ce qui "ne nécessite pas de consultation externe", explique l'Agence dans un communiqué.

Dans ce cas, il revient donc à Ryanair d'obtenir une autorisation de voler et d'atterrir au Sahara occidental. Sollicitée par l'AFP, la compagnie irlandaise a simplement assuré que ses opérations étaient "conformes à toutes les réglementations aériennes applicables", sans plus de précision.

Ambiguïtés législatives

Côté français, la compagnie Transavia, qui assure deux vols hebdomadaires entre Paris et Dakhla, affirme que son programme de vols est "dûment validé par les autorités compétentes".

Pourtant, son arrêté d'exploitation, consulté par l'AFP, n'autorise le transporteur qu'à desservir le Maroc, ouvrant une nouvelle fois la question du statut controversé du Sahara occidental.

Contactée par l'AFP, la direction générale de l'aviation Civile (DGAC), compétente en la matière, a renvoyé vers le ministère français des Affaires étrangères, qui n'a pas répondu aux questions sur ce sujet malgré plusieurs relances.

Ces ambiguïtés font naître des interrogations sur la pérennité de ces dessertes aériennes et rappellent le précédent des accords commerciaux conclus en 2019 entre le Maroc et l'UE sur la pêche et l'agriculture au Sahara occidental.

Après une longue bataille judiciaire, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) avait finalement donné raison en octobre 2024 aux indépendantistes du Front Polisario en invalidant définitivement ces accords signés sans "le consentement" du peuple sahraoui.

Avec AFP