VivaTech 2025 : "On utilise l’intelligence artificielle pour redonner goût à la lecture"
Dédié à la gloire du dieu IA cette année, le salon VivaTech, qui se tient jusqu'au samedi 14 juin à Paris, accueille un invité qui peut sembler incongru : le livre.
En effet, les auteurs et le monde de l'édition tendent à se méfier des algorithmes et sont même prêts à partir en guerre contre ChatGPT et autres outils d'intelligence artificielle.
En 2023, 17 auteurs, membres de la plus importante organisation d'écrivains aux États-Unis, ont porté plainte contre le géant de l'intelligence artificielle OpenAI, créateur de l'agent conversationnel ChatGPT, d’avoir illégalement entraîné son populaire outil à partir de leurs œuvres.
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Amazon, où chacun peut autoéditer un livre et où des centaines de livres générés par l’IA fleurissent chaque jour sans que le véritable auteur ne soit indiqué, a limité en décembre 2023 la publication à trois livres par jour et par personne. Le Syndicat national de l’édition s’est emparé du sujet en se battant pour obtenir "le respect et la reconnaissance du droit d’auteur par les acteurs de l’IA".
Mais dans les allées du salon parisien, plusieurs start-up croient en l’alliance de l’IA et de la littérature, à l'instar des applications Booklink et TaleMe.
Du côté de chez Swipe
Avec Booklink, Angélique Carreno, une Clermontoise de 20 ans, veut "redonner goût à la lecture" en utilisant l’IA. Elle dit être partie d’un constat simple : "Mes proches lisaient peu et ne trouvaient pas les livres qu’ils voulaient et qui leur correspondaient." Swiper à gauche ou à droite suffira-t-il à les remettre dans le chemin de la littérature ?
Après une campagne de crowdfunding qui lui permet de récolter 8 500 euros, elle lance son application Booklink en 2024. C’est un peu un "Tinder des livres", résume-t-elle, mais ici "on ne matche pas avec des humains".

"L’utilisateur renseigne ses préférences littéraires, en indiquant ses thèmes et types de livre favoris : de la bande dessinée au roman", décrit Angélique Carreno. "L’IA est dans l’algorithme de l’application et propose des livres qui peuvent être swipés à gauche pour être rejetés, ou à droite pour être ajoutés dans la bibliothèque. Plus un utilisateur va sur l’application, plus le matchmaking est puissant", poursuit-elle.
"Ça aurait pu être fait avant l’IA, mais beaucoup moins bien. L’IA permet plus de pertinence", détaille l’étudiante en psychologie.
Main dans la main avec les maisons d’édition
Millenium Éditions, SK Édition, Éditions Revoir, auteurs indépendants… ils sont une vingtaine à travailler directement avec la jeune entrepreneuse, qui leur fournit des "book trailers", comprenez des bandes-annonces de livres, diffusées sur l’application et les réseaux sociaux.
Pas besoin de payer pour être sur l’application, qui se base sur "un million de livres traduits en français", précise Angélique Carreno, mais les livres avec des book trailers sont "trois fois plus matchés", indique-t-elle.
Ses arguments de vente : les utilisateurs, plus de 25 000 à ce jour, "reprennent goût à la lecture", les auteurs "vendent davantage" et l’application a permis d'embaucher "deux développeurs qui travaillent sur l'algorithme et l’application".
Certaines maisons d’édition se montrent encore réticentes à l’idée de financer la réalisation de book trailers sur cette application, jugeant que ce concept est encore trop peu démocratisé.
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Des histoires personnalisées grâce à l’IA… et aux auteurs
L’IA pour mieux choisir ses livres… ou alors pour rendre l’histoire plus attirante. C’est cette deuxième option qu’explore TaleMe. Cette application propose, pour 1,99 euros par mois, "plus de 100 histoires personnalisées pour les enfants", explique Jean-Baptiste Sagot, l’un des trois cofondateurs.
TaleMe permet aux plus de six ans de choisir l’un des 50 personnages, ainsi qu’un univers et une thématique, comme la séparation par exemple, afin de "créer une histoire sur-mesure". Un moyen "d’ouvrir la discussion entre les parents et les enfants", avance ce père de famille.

Créée à Lille en août 2024, l’application, qui compte plus de 6 000 utilisateurs, n’aurait pas pu voir le jour "il y a cinq ou dix ans. Cela aurait été impossible sans l’IA, qui permet de faire des variations dans les habillages et les histoires, ainsi que de les démultiplier", précise l’entrepreneur.
Deux auteurs à temps plein
L’entreprise lilloise s’aide de plusieurs modèles bien connus : OpenAI et Mistral AI principalement, mais souhaite "lever des fonds pour être autonome", admet l’entrepreneur de 41 ans.
Il assure que cette nouvelle façon de créer des histoires ne freine pour autant pas le travail créatif des auteurs, au contraire. "TaleMe embauche des graphistes et deux auteurs à temps plein. Ils créent les histoires et le monde sur lequel se déroulent les épisodes. On y retrouve une carte avec des États, des monnaies et des modes de transports, etc. Tout cela n’est pas généré par l’IA", développe Jean-Baptiste Sagot.

Et le Lillois ne compte pas s’arrêter là. Si les histoires sont aujourd’hui lisibles sur l’application, écoutables en audio ou imprimables, l’entrepreneur a pour projet d’en faire "une sortie livre" où l’histoire serait "personnalisée avant l’expédition du livre papier".
"L’IA ne parvient pas à construire de bonnes histoires"
Est-ce que tout cela sera suffisant pour rassurer les professionnels du livre ? "L'IA ne pourra jamais remplacer l'auteur", martèle Najet Miled, agente littéraire à Averroès édition.
Si Jean-Baptiste Sagot a bien saisi l’opportunité de l’IA, il assure l’utiliser uniquement comme "un outil de productivité". "L’IA est un outil statistique qui fait des moyennes et ne fait pas vivre des aventures, elle ne sait pas faire de choix. Seul l’auteur a une sensibilité", reconnaît-il.
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Alors que certains arguent que l’IA pourrait remplacer le travail des auteurs, Najet Miled rappelle que ces histoires ne seront "pas bonnes et généralistes, car l’IA n’a pas le vécu de l’auteur, ni son imagination".
Pour autant, elle admet un usage raisonné de cet outil dans l’industrie du livre, "pour la correction, par exemple".