La Provence baroque de Jean Daret dans la lumière à Aix
Voilà une exposition qui n’a pas attendu le récent plan gouvernemental censé favoriser la culture en milieu rural. Pour cette toute première rétrospective consacrée au grand peintre du baroque provençal Jean Daret (1614-1668), qui se tient tout l’été au Musée Granet, pas moins de 23 communes se sont mobilisées, outre celle d’Aix-en-Provence. Si le parcours muséal réunit sur deux niveaux une centaine d’huiles, de dessins et de gravures, nombre des œuvres de cet artiste jusqu’alors mal connu, soit 65 dûment répertoriées, demeurent à admirer ailleurs dans la région. Des itinéraires ont été établis pour les amateurs désireux de les voir.
Ils couvrent non seulement les Bouches-du-Rhône, mais aussi encore plus largement le Var et le Vaucluse. Et, parmi ces toiles - souvent des peintures religieuses jusqu’alors mal visibles, voire mal répertoriées dans les églises -, 23 ont été pour l’occasion nettoyées, décontaminées d’éventuels insectes, asséchées des moisissures qui les rongeaient et leurs lacunes comblées par des pigments réversibles au Centre interdisciplinaire de conservation et de restauration du patrimoine, installé dans l’ancienne Manufacture nationale des tabacs de la Belle-de-Mai, à Marseille.
Daret a laissé des chefs-d’œuvre dans l’église de la Madeleine, la cathédrale Saint-Sauveur, dans la chapelle des Andrettes (chapelle du collège Mignet), à NotreDame-de-la-Consolation…Forts des aides extérieures et de l’intérêt nouveau, 16 villes ou villages, parfois de très petits, tels Cadenet, Varages, Oppède ou Pontevès (786 âmes), se sont même engagés dans la revalorisation de leur patrimoine à hauteur de 10 % à 15 % du financement global nécessaire. Les églises prêteuses et autres chapelles, telle celle du Grand Couvent, à Cavaillon, proposent en l’absence de leurs trésors exceptionnellement déplacés de petites expositions dossiers avec kakémonos et flashcodes explicatifs, reproductions à l’échelle et renvoi à l’exposition aixoise. En même temps, les communes profitent de l’événement pour réparer les boiseries de leur retable.
À Aix même, il est recommandé de ne pas se contenter du musée: Daret a laissé des chefs-d’œuvre dans l’église de la Madeleine, la cathédrale Saint-Sauveur, dans la chapelle des Andrettes (chapelle du collège Mignet), à NotreDame-de-la-Consolation… Et bien sûr il est l’auteur du célèbre trompe-l’œil des escaliers de Châteaurenard, l’un des hôtels particuliers sans doute parmi les plus beaux subsistants dans cette cité qui fut capitale du comté de Provence sous l’Ancien Régime.
Influence du Caravage
La restauration de ce décor d’apparat a duré deux ans. Elle vient de s’achever et chacun peut à nouveau s’en délecter comme, le premier, Louis XIV l’avait fait lors de son tour d’inspection de la Provence en 1660. Cette débauche aux murs et sur la voûte d’allégories d’arts libéraux, comme la peinture, la musique ou l’astronomie, a retrouvé son étonnante vivacité. Ces personnages nous regardent, semblent nous inviter tandis qu’on gravit les marches étourdi à force de lever la tête. L’ensemble, digne enfant de ce qui avait été réalisé dans les palais de Mantoue ou de Bologne, avait d’ailleurs, avec d’autres fresques peintes lors d’un séjour parisien de Daret au château de Vincennes et aujourd’hui disparues, hissé l’Aixois d’origine flamande (formé à la cour bruxelloise) au rang de peintre de Sa Majesté.
Directeur du musée, Bruno Ely a fait toute confiance à sa commissaire scientifique, l’historienne enseignante à l’École du Louvre Jane MacAvock. Elle travaille depuis plusieurs décennies sur Daret. Si - contexte géopolitique oblige -, elle regrette l’absence à ses cimaises rouge passion, bleu roi ou vieil or de l’unique autoportrait connu (conservé au Musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg), elle se félicite de la synergie atteinte. Elle a notamment permis la mise au jour d’une vingtaine d’huiles, identifiées depuis l’exposition historique sur les peintres du baroque provençal en 1978 à Marseille.
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Si les commandes profanes, moins connues et difficiles à localiser, s’avèrent largement minoritaires au sein du parcours, celui-ci s’efforce d’alterner les scènes bibliques avec des portraits (tel celui récemment découvert de Robert du Pille avec son fusil et ses chiens, acquis une fortune en 2021 par le Musée de la vhasse à Paris), quelques nus (deux Pomone endormies venue du Louvre et de Marseille, une Danaë venue de Lyon) ou encore des figures de fantaisie.
On sent, notamment dans ces dernières, notamment dans Le Joueur de guitare (Musée Granet) et son quasi pendant La Joueuse de luth (Art Gallery de l’université de Yale, New Haven, Connecticut), l’influence du Caravage, dont l’art du clair-obscur vériste fut admiré lors d’un séjour dans la Rome de la Contre-Réforme. Au rayon des grands formats bibliques ou mythologiques présents, signalons, outre l’immense Justice de Trajan (9,60 × 3,48 m), de Nicolas Pinson, d’habitude occulté dans les salles, celui dû à cet autre contemporain marseillais de Daret: Jean-Baptiste Crozier. Ses piles de bambins massacrés, saints innocents qu’un christ enfant ressuscite, attirent l’œil par leur côté effrayant.
Drapés aériens
Mais rapidement l’esprit se concentre sur la douce Nativité d’un Nicolas Mignard. Ou ce gracieux Ange gardien de Daret décroché de l’église Saint-Pierre de Simiane-Collongue (Bouches-du-Rhône). Ici, le ciel bleu-rose méditerranéen chante avec une paire d’ailes diaphanes et des drapés aériens, bleus, crème ou violet clair. Un délice… Une commande a occupé notre homme pendant une décennie, celle de la décoration de la chapelle privée de l’Association de la Sainte Famille. La voilà ici mise en valeur. De ses 22 tableaux, seuls 6 ont été retrouvés depuis la Révolution. Ils sont là, alignés devant deux dessins préparatoires à la sanguine et à la pierre noire. À l’arrière-plan du saint Joseph figuré en pied, on reconnaît la Sainte-Victoire. Serait-ce déjà, un peu, celle de Cézanne?
«Jean Daret. Peintre du roi en Provence», jusqu’au 29 septembre au Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, 13100 Aix-en-Provence. Catalogue Liénart 270 p., 39 €. Tél.: 04 42 52 88 32. museegranet-aixenprovence.fr