Ces youtubeurs qui jouent la montre

Ils sont en passe de remplacer le traditionnel film du dimanche soir à la télévision, et pourtant, ils ne traitent que d’un seul sujet, pointu s’il en est : les montres. Certes, les youtubeurs de l’horlogerie font figure de niche comparés aux grands noms de la plateforme tels Tibo InShape (25,4 millions d’abonnés) et Inoxtag (8,8 millions d’abonnés). Pour autant, leurs formats longs (en général de 30 à 45 minutes) attirent de plus en plus d’aficionados des garde-temps, toujours friands de coulisses et de nouveautés. Ils contribuent à renouveler, et parfois à dépoussiérer, l’art de parler des montres.

Robin et Hugo, créateurs de la chaîne Breloque. Breloque

Depuis les bords du lac d’Annecy, Robin et Hugo animent ainsi la chaîne Breloque (12 700 abonnés, 78 vidéos) depuis deux ans, en parallèle de leur boutique de montres de collection du même nom. « Cela fait dix ans que nous sommes dans cet univers. Et comme beaucoup de monde parle déjà - très bien - des nouveautés, nous avons choisi de nous consacrer aux pièces vintage, aux modèles qui ne sont plus produits. Et comme on adore les montres, on en parle avec le cœur. » Leur prochaine vidéo ? Une plongée dans la tradition horlogère selon Breguet. « C’est sûrement moins sexy que Paul Newman ou James Bond. Mais si, à la fin, nous avons dix commentaires qui nous disent : “Vidéo exceptionnelle, j’ai passé un très bon moment”, alors on a bien fait de la faire ! »

Jérémy Mauduit et Aurélien Cram animent Parlons Montre. Parlons Montre

Du côté de Bordeaux, Jérémy Mauduit co-anime Parlons Montre (15 200 abonnés, 150 vidéos), avec son ami Aurélien Cram, fondateur de la boutique horlogère Horel. Ce banquier de formation passé par le Canada a commencé à écrire pour le site Le Petit Poussoir, avant de définitivement basculer dans le monde horloger. « Avec Aurélien, on ne se retrouvait pas vraiment dans le contenu francophone. Nous nous sommes dit, comme pour la boutique bordelaise, que, si ce que l’on recherchait n’existait pas, il fallait peut-être le créer. Nous sommes des passionnés avant tout, nous voulions porter un regard de pro sur la montre, même si on ne sait jamais tout. » Leur investissement de départ : environ 2 000 euros, entre caméras, micros et montage… « Si tu as des choses à dire, un concept, un ton, c’est à la portée de tout le monde, confie-t-il. Seulement, c’est très chronophage ! Nous voulions aussi revenir à un format proche du podcast, plus éloigné du langage YouTube, quasiment sans montage. En résumé, nous sommes deux potes qui parlent de montres tous les jours. Le matin, au café, on en parle déjà tous les deux : nous avons juste ajouté une caméra ! » Et même quand il n’est pas en tournage, Jérémy Mauduit ne chôme pas puisqu’en plus d’avoir monté le salon horloger Timefest aux côtés de trois associés, il achète et vend des garde-temps anciens…

  

Théo Gacogne, créateur de Le Calibre, recevant l’équipe de SpaceOne. Le Calibre

D’une chaîne à l’autre, l’audience est très majoritairement masculine (jusqu’à atteindre 90 % !) et aux trois quarts âgée entre 18 et 45 ans. « Et 35 % de nos abonnés regardent YouTube sur le grand écran du salon, confirme Théo Gacogne, créateur de Le Calibre (94 200 abonnés, 396 vidéos), installé en Thaïlande. Nous en sommes à peu près à 400 000 vues par mois, dont 250 000 sur les vidéos longues de la chaîne principale. Plus un format est long, plus la plateforme peut y insérer des publicités. » Le Calibre s’est fait connaître, en 2018, par le « watch spotting » (qui consiste à repérer les montres au poignet des célébrités), mais est dorénavant prisé pour ses sélections et interviews par des spectateurs de plus en plus au fait de l’actualité horlogère. « J’ai imaginé cette émission pour faire monter le trafic de notre site internet Le Calibre, explique Théo. À aucun moment, je ne m’étais dit qu’elle deviendrait rentable et autonome ! Avant le confinement, aucune chaîne YouTube de ce genre, même les plus importantes comme La Petite Trotteuse et Le Guide des Montres, n’était au-dessus de la barre des 10 000 abonnés. Nous avions sans doute un peu de retard en France en matière d’éducation horlogère, peut-être aussi parce que l’on assimilait la montre à un produit de riche. Maintenant, je connais même des gens qui, lorsqu’ils ont une question, la posent directement à ChatGPT ! »

La chaîne Frank sans C est aujourd’hui en tête des audiences horlogères francophones. Frank sans C

Après des décennies d’écriture pour la presse écrite, le journaliste Frank Declerck a franchi le pas il y a quatre ans, en septembre 2020, en lançant sa chaîne Frank sans C aux 272 000 abonnés et 239 vidéos. « “Vintage is the new cool”, dit-on. C’est sans doute mon côté “papy youtubeur” qui plaît », s’amuse-t-il. Son sens de l’autodérision aussi, qui est pour beaucoup dans le succès de ses vidéos durant pour la plupart plus d’une demi-heure. « Quand j’ai refait mon site MyWatchSite, j’ai suivi le conseil d’un youtubeur, et investi tout le budget publicitaire dans le lancement de ma chaîne. Il existait une dizaine de concurrents, mais nous sommes devenus leaders en quatre mois ! », précise celui qui emploie quatre personnes pour mettre en boîte ses émissions. Celles-ci ont déjà comptabilisé 17,4 millions de vues pour 1,9 million d’heures regardées, certaines tutoyant le million de spectateurs… « La première année, les marques n’y croyaient pas, puis cela a fait boule de neige. Désormais, je reçois même les patrons des grandes marques. Sylvain Dolla, président de Hamilton, est venu accompagné de son ambassadeur star, Tony Parker. Et l’horlogerie marche tellement bien que l’on m’invite pour en parler sur d’autres chaînes thématiques. Sans YouTube, je n’aurais pas pu créer le prix de la Montre de l’année, la plateforme donne toute sa résonance à l’événement. » Après avoir inventé un JTH (journal télévisé horloger), Frank sans C a édité des montres en série limitée en collaboration avec des manufactures telles Herbelin et Vigilo), au cadran frappé de la mention « Made in Frank ». Et à suivre l’an prochain, une collection de bracelets avec Maison Fèvre.

Clément Entretemps, en entretien avec François-Henry Bennahmias. Clément Entretemps

Clément Entretemps (109 000 abonnés, 592 vidéos) vient quant à lui d’ouvrir son propre showroom horloger à Paris, à la fois une extension de sa chaîne et un lieu de tournage. « Certaines marques nous disaient chercher à être plus visibles à Paris. Avec mon associé, nous avons commencé à les distribuer », rappelle ce passionné et entrepreneur né, qui réfléchit même à lancer sa propre marque de montres haut de gamme. Car même avec une chaîne à succès, et le reversement de 55 % des revenus publicitaires par YouTube, difficile de gagner sa vie juste en produisant et diffusant ce type de vidéos. « YouTube est la meilleure des plateformes pour les vidéos longues. Les miennes durent en général entre 10 et 45 minutes, analyse-t-il. Je ne viens pas du sérail et c’est justement pour en apprendre davantage sur l’horlogerie que j’ai ouvert ma chaîne. Je fais des sujets qui me plaisent. Et ce qui me plaît le plus, c’est d’expliquer à un grand public qui n’est pas du tout spécialiste ! IL faut donc des angles accessibles et fédérateurs. Ma première vidéo, en septembre 2019, était consacrée à l’histoire de Rolex. Je suis aussi d’abord passé par les montres de stars. Désormais, je vais mettre l’accent sur les visites de manufactures ! » Ou comment faire entrer les internautes dans les coulisses du temps…