REPORTAGE. "Il attendait à l'arrêt de bus et la police l'a menotté et embarqué" : à Washington, la traque des sans-papiers par l'ICE sème la peur dans les quartiers latinos
L'inquiétude au quotidien. Aux Etats-Unis, Donald Trump poursuit la lutte contre l’immigration illégale, et légale même parfois. Le président américain a promis d'expulser un million d’étrangers d'ici la fin de l’année 2025, à commencer par ceux qui ont commis des actes répréhensibles dit-il. Mais, dans les faits, selon plusieurs ONG, beaucoup d’hommes et de femmes sans casier judiciaire se retrouvent enfermés dans des centres de rétention.
Les grandes villes "sanctuaires" dans lesquelles l'ICE (Immigration and Customs Enforcement), la police d’immigration, était longtemps persona non grata, ne sont plus à l’abri de ses opérations. À Washington, les immigrés tentent de se protéger avec l’aide des habitants, comme dans le quartier de Columbia Heights où un habitant sur trois est d’origine hispanique.
"Je n'ai même plus envie de revenir aux Etats-Unis si c'est pour y vivre dans la peur"
Milton Cedillo, venu d'Honduras il y a une vingtaine d'années avec son frère Walter, raconte : "Tous les jours, c'était la même chose. Il se réveillait vers 7h pour aller au travail. Un matin, un de ses amis m'appelle et me demande 'Milton, où est ton frère ?'. Je n'en savais rien, j'étais sûr qu'il était parti travailler..." Finalement, Walter l'appelle deux semaines plus tard, poursuit Milton : "Il attendait à l'arrêt de bus et l'ICE est arrivée, l'a menotté et l'a embarqué, sans lui demander s'il avait des papiers, rien. Ils ont vu sa figure, ils se sont dit 'Oh, un latino', et c'est tout. C'est ça qui me rend furieux...", s'agace-t-il encore.
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Après deux mois passés dans un centre de rétention en Virginie, Walter est finalement expulsé vers le Honduras. "Il m'a dit : 'Tu sais Milton, j'ai même plus envie de revenir aux Etats-Unis si c'est pour y vivre dans la peur'. C'est ce qu'on ressent, même moi maintenant quand je vais au travail, j'ai peur car on ne sait pas ce qui peut nous arriver !", conclut-il.
Une peur partagée par bon nombre de travailleurs sans papiers de Washington. Autour de la station de métro où se regroupent les vendeurs ambulants, les langues se délient. "Avant, cette rue était bondée, maintenant les gens ne sortent plus, ils ont peur, témoigne Chris, arrivé du Mexique il y a 30 ans. Je sais que les agents de la police pensent faire leur travail, mais ils sont supposés arrêter les méchants, pas les travailleurs ni les familles ! Ce n'est pas facile, mais moi je reste ici", glisse-t-il.
Il tente, avec les autres, d'organiser une résistance : "Oui, on discute entre nous et on garde l'œil ouvert. Dès qu'on les aperçoit, on fait du bruit, on crie ICE, ICE !"
"On ne va pas leur permettre de brutaliser qui que ce soit ici"
Dans les rues, sur les murs, on voit de nombreux tags anti-ICE et des feuilles accrochées sur les vitrines des commerces avec des listes de numéros d'avocats à joindre en urgence si la police de l'immigration débarque.
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John, un Camerounais a collé l'une de ses affiches à l'entrée de son salon de coiffure. "La police de l'immigration est venue plusieurs fois dans la zone. Au moins trois fois sur cette rue !", raconte-t-il en français.
"Il y a des bâtiments qui ont carrément fermé leurs portes pour leur empêcher d'entrer. Ces policiers n'hésitent pas à entrer et à demander s'il y a des gens qui ont des papiers..."
John, un coiffeur de Washingtonà franceinfo
Et de préciser : "S'ils entrent, nous allons leur demander de nous montrer le mandat qui leur permet d'entrer ici. Dans le cas contraire, on ne va pas leur permettre de brutaliser qui que ce soit ici".
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John l'avoue : il en veut à Donald Trump pour cette politique qui "brise des vies". Il est certain qu’elle ne tiendra pas à terme : "Tout ça, ça va passer. Parce qu'on ne peut pas faire sans les immigrés. Parce qu'il y a beaucoup de travaux que les Américains ne veulent pas faire. S'il faut nettoyer les poubelles, vous pensez que si les immigrés ne sont pas en train de le faire, les rues seront-elles propres comme aujourd’hui ? Non !".
Et pourtant, la police de l'immigration semble augmenter la cadence ces dernières semaines : à Washington et partout dans le pays, avec une moyenne de 3000 arrestations par jour.