L’affaire Kilmar Abrego Garcia, symbole des errements de l’administration Trump
C’est l’affaire qui empoisonne le ministère américain de la Justice. Après avoir promis lors de sa campagne présidentielle de renvoyer les migrants en situation illégale dans leur pays, Donald Trump a mis sa menace à exécution au mois de mars. Près de 300 migrants, dont une majorité de Vénézuéliens, suspectés d’appartenir aux gangs MS-13 et Tren de Aragua, récemment déclarés organisations terroristes étrangères par la Maison Blanche, ont été expulsés et incarcérés dans les prisons de haute sécurité du président Nayib Bukele, au Salvador. Sauf qu’en précipitant ces expulsions, à grands renforts de diatribes populistes, l’administration Trump a commis plusieurs erreurs de casting, dont Kilmar Abrego Garcia, un Salvadorien qui n’aurait jamais dû être expulsé.
Le 10 avril, la Cour suprême des États-Unis a demandé au gouvernement de "faciliter" la libération de cet homme. Pour l’instant, l’administration Trump ne compte pas céder. Le président américain a même fait de cette affaire le symbole d’un complot des juges contre les patriotes – en témoignent ses messages sur Truth Social : "Je fais ce pour quoi j'ai été élu, éliminer les criminels de notre pays, mais les tribunaux ne semblent pas vouloir que je le fasse (…). Ils sont intimidés par la gauche radicale."
Une victime parmi ses bourreaux
La vie de Kilmar Abrego Garcia bascule le 12 mars. Ce jour-là, ce père de trois enfants résidant à Beltsville, dans le Maryland, rentre du travail en voiture lorsqu’il est arrêté par des agents de l’immigration. Malgré l’absence de mandat, il est transporté dans un centre de rétention à Baltimore, où on lui promet un appel téléphonique à sa femme, américaine, et un rendez-vous avec un juge, qu’il n’obtiendra pas. Trois jours plus tard, l’homme de 29 ans est expulsé en avion vers San Salvador et incarcéré au Centre de confinement du terrorisme (Cecot), l’une des prisons les plus dures au monde, où 15 000 membres des gangs MS-13 et Barrio 18 purgent des peines de prison à vie.

La situation est ubuesque. Arrivé illégalement aux États-Unis à 16 ans, Kilmar Abrego Garcia n’a pas de casier judiciaire. Surtout, il bénéficie depuis 2019 d’une décision de protection accordée par un juge de l’immigration, assortie d’un permis de séjour, censée empêcher son expulsion au Salvador, au motif qu’il est menacé par le gang Barrio 18 dans son pays d’origine. "Pendant des années, ils ont été victimes d'extorsion et de menaces de mort de la part de l'un des gangs les plus célèbres du Salvador, le Barrio 18", écrit la juge fédérale Paula Xinis dans son ordonnance du 6 avril.
Outrances du camp Trump
Reconnaissant dans un premier temps une "erreur administrative", l’administration américaine change finalement son fusil d’épaule. "Abrego Garcia était un terroriste étranger. Il est membre du gang MS-13. Il était impliqué dans le trafic d'êtres humains", lance la semaine dernière Karoline Leavitt, attachée de presse de la Maison Blanche. "Il était censé être, selon le juge et les démocrates, un merveilleux père de famille du Maryland, mais ils ont ensuite remarqué qu'il avait le sigle 'MS-13' tatoué sur ses phalanges", renchérit lundi Donald Trump sur son réseau social Truth Social, photo d’une main tatouée à l’appui. Plusieurs médias et internautes ont depuis démontré que l'image originale avait été détournée.
Pour justifier son expulsion, le ministère de la Justice a rendu publics plusieurs documents censés prouver l’appartenance du jeune Salvadorien au gang MS-13. Ceux-ci se réfèrent notamment à une arrestation datant de mars 2019. Ce jour-là, des policiers arrêtent Kilmar Abrego Garcia au simple motif que ses vêtements laissent penser à une appartenance au gang. La police déclare qu'il portait "une casquette des Chicago Bulls et un sweat à capuche avec des rouleaux d'argent", résume NBC News. Des éléments peu probants pour le juge de l’immigration, qui délivrera finalement une interdiction d’expulsion vers le Salvador.
"Margarita-gate"
Depuis l’expulsion de son mari au Salvador, Jennifer Vasquez Sura milite pour sa libération et son retour, elle qui n’a pas eu de nouvelles depuis plusieurs semaines. "Il n’y a pas une seule preuve selon laquelle il appartient au MS-13 qui a été produite devant le tribunal (…). Le gouvernement doit respecter la Constitution, la procédure légale, c’est tout ce qu’on demande, respectez la loi", a réagi l’une des avocates du détenu, Ama Frimpong, sur la chaîne MSNBC.
Le camp démocrate s’est aussi mobilisé. Lundi, quatre élus démocrates se sont rendus au Salvador pour faire pression sur l’ambassadeur américain. La semaine dernière, le sénateur démocrate du Maryland Chris Van Hollen avait même rencontré Kilmar Abrego Garcia, en tête-à-tête. Le président salvadorien Nayib Bukele et le camp Maga en ont profité pour décrédibiliser le sénateur, accusé de boire des cocktails avec le détenu. Le sénateur a dû organiser une conférence de presse en catastrophe pour se défendre, dénonçant une mise en scène des hommes de Nayib Bukele.
Nayib Bukele, un allié de Trump
Une chose est sûre, l’affaire Kilmar Abrego Garcia illustre le rapprochement entre le président salvadorien et son homologue américain. Le 14 avril, Nayib Bukele était le premier dirigeant d’Amérique latine à rencontrer Donald Trump à la Maison Blanche. Les deux hommes en ont profité pour mettre en scène leur parfait alignement sur la guerre contre les gangs. Le dirigeant d’Amérique centrale a déjà reçu 6 millions de dollars pour avoir accepté d’emprisonner sur son sol les migrants expulsés des États-Unis. De son côté, Washington a classé le Salvador parmi les pays les plus sûrs pour les voyageurs américains, devant la France, l'Allemagne ou encore la Suède.
Interrogé sur le cas Kilmar Abrego Garcia, Nayib Bukele a fait mine d’être impuissant : "Comment puis-je le renvoyer aux États-Unis ? Je le fais venir clandestinement aux États-Unis ? Bien entendu, je ne vais pas faire ça. La question est absurde (...). Je n'ai pas le pouvoir de le renvoyer vers les États-Unis." Côté américain, l’affaire ne devrait pas en rester là. Comme le rapporte le New York Times, la juge Paula Xinis a ouvert une enquête pour déterminer si l’administration Trump s’est bien conformée à la décision de la Cour suprême pour "faciliter" la libération de Kilmar Abrego Garcia.