Guerre commerciale : Doug Ford, l'"homme fort du Canada" qui veut faire plier Donald Trump

La scène prêterait à sourire si les enjeux n’étaient pas aussi sérieux. Mardi 11 mars, sur la pelouse sud de la Maison Blanche, Donald Trump a tenu une improbable conférence de presse devant sa nouvelle Tesla rouge.

Un spectacle pour les caméras conçu comme un soutien à celui qu'il a chargé de l'"efficacité gouvernementale", Elon Musk – dont l’entreprise connaît de sérieuses turbulences – mais aussi l'occasion d'aborder les sujets brûlants du moment, notamment la guerre commerciale avec le voisin du Nord.

"Il y a un homme très fort au Canada qui a dit qu’il allait imposer une surtaxe sur l’électricité arrivant dans notre pays. Il a appelé et il a dit qu’il n’allait pas le faire, je respecte ça", s’est réjoui Donald Trump.

Cet homme fort, c’est Doug Ford, Premier ministre de l’Ontario, déterminé à faire barrage aux droits de douane de Donald Trump qu’il a qualifiés de "coup de poignard dans le dos". Fin communicant et homme d'affaires avisé, le conservateur à la tête de la province la plus peuplée du Canada court depuis des semaines les plateaux de télévision américains, se posant en défenseur du peuple, des deux côtés de la frontière.

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"Ford Nation"

Né le 20 novembre 1964, Doug Ford est issu d’une famille bien connue dans l’Ontario. Fils d’un riche imprimeur, il a fait ses armes au sein de l’entreprise familiale dont il est aujourd’hui propriétaire avant de se lancer en politique.

En 2010, il devient conseiller municipal, emboîtant le pas à son père, ancien député provincial. La même année, son frère cadet, aujourd’hui décédé, parvient à se faire élire maire de Toronto en capitalisant sur les attentes de la classe moyenne et le sentiment d’abandon dans les banlieues de la ville.

Un mandat digne d’une rock star, émaillé de scandales sexuels, de consommation d’alcool et de drogues dures, qui marque la naissance du mouvement populiste "Ford Nation", sorte de "Maga" ("Make America Great Again") canadien avant l’heure, fédérant les soutiens à sa politique conservatrice. En bons businessmen, les deux frères surfent sur la tendance, lançant même l’émission télévisée "Ford Nation" puis une série du même nom sur le Web.

Populisme sauce Trump

Fort de cette popularité, Doug Ford devient le chef du Parti progressiste-conservateur, qu’il mène à la victoire lors des élections provinciales de 2018. Premier ministre, il entreprend un virage politique en Ontario. Après 15 années de règne des libéraux, ses mesures se concentrent sur la réduction de la dépense publique et le développement de projets autoroutiers et immobiliers. Il engage également une bataille contre les mesures climatiques du gouvernement fédéral.

Ses positions très conservatrices, son style direct et ses critiques des "élites déconnectées" qui "boivent du champagne" lui valent d’être qualifié de "Donald Trump canadien" par certains médias.

"Doug Ford est une personnalité qui dénote dans le paysage politique", souligne François Rihouay, correspondant de France 24 à Montréal. "Il est perçu comme un personnage amusant voire charmant mais aussi un businessman dur en affaires qui a une énorme confiance en son propre jugement."

Loin de s’offusquer de la comparaison à Donald Trump, Doug Ford a longtemps chanté ses louanges : un "businessman hors pair", "génie du marketing", dont il voyait d’un bon œil le retour à la Maison Blanche.

"Je pensais qu’il ferait un super boulot. Mon dieu que j’ai eu tort", a-t-il récemment déclaré lors d'une interview avec la chaîne américaine CBS.

Bataille sans merci

Au premier jour de son mandat, Donald Trump officialise son intention d’imposer une hausse des droits de douane de 25 % au Canada et au Mexique. Un projet auquel il avait déjà fait allusion, mais qui provoque chez Doug Ford un électrochoc. Quatre jours plus tard, l'Ontarien convoque à la surprise générale des élections anticipées, appelant les citoyens à lui offrir le "plus grand mandat de l’histoire" de la province pour faire face aux ambitions de Donald Trump. Un pari gagnant : le 27 février, il est largement réélu, grappillant un siège supplémentaire (80 sur 124).

Depuis, Doug Ford s’est lancé dans une réelle campagne médiatique, multipliant les apparitions sur CNN, NBC et même Fox News. Celui que l'on surnomme désormais "Capitaine Canada" est allé jusqu’à s’offrir une campagne publicitaire célébrant l’amitié américano-canadienne. Un spot qu'il est parvenu à faire diffuser massivement sur les chaines américaines, pendant le SuperBbowl et même au milieu d'une interview de Donald Trump et d'Elon Musk.

"Il s'est différencié des Premiers ministres des autres provinces en optant pour une approche beaucoup plus offensive", souligne François Rihouay. "Doug Ford a eu l’intelligence d’aller parler aux Américains sur leur terrain en visant les 'red states', ceux qui ont massivement voté Trump, pour rappeler aux travailleurs, aux familles et aux entreprises américaines qu’elles allaient elles aussi payer les conséquences de ces mesures."

Joignant la parole aux actes, Doug Ford a décrété des mesures de rétorsion. Il a ordonné le retrait des alcools américains des magasins et des catalogues, annulé le contrat de 100 millions de dollars pour le service Internet Starlink d’Elon Musk, et est enfin allé jusqu’à brandir la fameuse menace d'augmenter les taxes sur l’électricité fournie aux États de New York, du Minnesota et du Michigan, voire même de leur couper tout bonnement le courant.

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Issue incertaine

Des deux côtés de la frontière, cette dernière annonce a suscité un torrent de réactions. Qualifiée de "commentaire ridicule et insultant" par la porte-parole de la Maison Blanche, elle a également suscité des critiques au Canada, des commentateurs lui reprochant de faire cavalier seul, d’instrumentaliser la crise à des fins électorales ou bien encore de prendre des risques inconsidérés au nom du pays tout entier.

"Mais pour qui se prend-il ?", "Où est Justin Trudeau ?", se sont indignés certains, comparant la guerre commerciale entre les États-Unis et le Canada à l’affrontement de "David contre Goliath". Bien que symboliquement forte, la menace énergétique de Doug Ford n’aurait qu’un impact limité sur les consommateurs américains puisque la fourniture d'électricité ne concerne que 1,5 des plus de 35 millions d'habitants de ces États.

"Il est vrai que le Canada a peu de cartes à jouer dans cette bataille, son PIB est dix fois moins important que celui des États-Unis et le pays dépend à 80 % du marché américain pour ses exportations", rappelle François Rihouay. "Néanmoins, une partie des Canadiens reconnaissent à Doug Ford le mérite de se dresser face à Trump, d’être allé le chercher sur le terrain de la négociation et de lui avoir signifié que la Canada n’était pas prêt à toutes les concessions pour faire plaisir à son plus gros client."

Un message d’autant plus important que le président républicain ne fait pas mystère de ses ambitions fantasques mais bien réelles d’annexer le Canada pour en faire le "51e État" américain. "Les droits de douane sont une étape de ce plan destiné à attirer un maximum d'entreprises canadiennes aux États-Unis", poursuit François Rihouay.

Mardi, Doug Ford a finalement suspendu sa menace de surtaxer de 25 % ses exportations d'électricité vers les États américains du Minnesota, du Michigan et de New York. S’il n’est pour l’heure pas parvenu à obtenir la suppression des nouveaux droits de douane américains, il n’a pas encore perdu la guerre.

Son récent coup d’éclat lui a valu une invitation du ministre américain du Commerce, Howard Lutnick, à venir jeudi à Washington pour renégocier l'accord de libre-échange entre les deux pays, avant l’entrée en vigueur des nouvelles taxes douanières américaines prévues le 4 avril.