Mozambique : le Conseil constitutionnel confirme la victoire de Daniel Chapo

Une crise politique sans précédent. Au Mozambique, la présidente du Conseil constitutionnel, la juge Lucia da Luz Ribeiro a proclamé, lundi 23 décembre, "élu président de la République du Mozambique Daniel Francisco Chapo", candidat du Frelimo, parti à la tête de l'État lusophone depuis un demi-siècle.

Dans son annonce solennelle, en direct à la télévision, elle a déclaré le président Daniel Chapo vainqueur avec 65,17 % des voix, soit cinq points de moins que le score établi par la commission électorale il y a deux mois.

Daniel Chapo est un ancien gouverneur provincial, peu connu jusqu'à sa désignation surprise en mai par le parti historique au pouvoir. Sans expérience d'État à 47 ans et rejeté par la rue, il n'était pas non plus le candidat préféré du président sortant Filipe Nyusi, 65 ans, qui a atteint la limite de deux mandats.

La passation de pouvoir est prévue 15 janvier entre les deux hommes, tous les deux issus du parti Frelimo, dirigeant l'État lusophone depuis son indépendance du Portugal en 1975.

Deux mois de contestation

Après deux mois de contestation ayant causé, selon l'ONG locale Plataforma Decide, au moins 130 morts dont surtout des manifestants tués par des tirs à balles réelles, le Conseil constitutionnel a entériné sa victoire par 65,17 % des voix aux élections du 9 octobre.

Sa victoire à la présidentielle a été rabotée de cinq points, mais confirmée malgré quantités d'irrégularités relevées par plusieurs missions d'observation internationales.

Il doit devenir le premier président né après l'indépendance du Portugal en 1975 et le premier à n'avoir pas été un combattant du Frelimo pendant la guerre civile (1975-1992), qui a fait un million de morts et hante encore les esprits.

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À moins que la situation politique ne s'embrase encore : le principal opposant Venancio Mondlane, qui revendique la victoire, a accusé Filipe Nyusi de vouloir utiliser les troubles pour déclarer l'état d'urgence et "conserver le pouvoir" en repoussant l'investiture de son successeur.

Le président sortant s'en est défendu vendredi, à trois jours du "soulèvement populaire d'une ampleur jamais vue" appelé par Venancio Mondlane.

"Daniel Chapo est le choix d'Armand Guebusa et de Joaquim Chissano, deux anciens présidents, pas vraiment celui de Filipe Nyusi", décrypte auprès de l'AFP Johann Smith, analyste en risques politiques et sécuritaires à Maputo.

"Nyusi voulait que le secrétaire général du Frelimo à l'époque Roque Silva lui succède. Donc il y a peu d'amour entre les deux", poursuit-il.

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Suivant l'appel de l'opposant à "paralyser" ce pays parmi les plus pauvres et inégalitaires de la planète, la capitale Maputo avait des airs de ville fantôme lundi.

Les principaux axes conduisant dans l'agglomération étaient bloqués par des barricades de l'opposition rendant ses avenues désertes tandis que des barrages de polices empêchaient l'accès au palais présidentiel ainsi qu'au siège du Conseil constitutionnel.

Des rues vides et des magasins fermés dans les quartiers de Maputo, le 23 décembre 2024.
Des rues vides et des magasins fermés sont visibles dans les quartiers de Maputo, le 23 décembre 2024. © AFP

C'est la "contestation post-électorale la plus dangereuse" de l'histoire du pays pour le parti Frelimo, à la tête du Mozambique depuis son indépendance du Portugal en 1975, estime le chercheur mozambicain Borges Nhamirre de l'Institut d'études pour la sécurité de Pretoria.

"C'est presque le printemps de l'Afrique australe"

"On disait que les mouvements de protestation au Mozambique ne pouvaient pas durer plus d'un mois" mais "ça n'a rien à voir avec ce que nous avions l'habitude d'observer", dit Borges Nhamirre.

Cela tient pour beaucoup à Venancio Mondlane qui mobilise ses partisans via des directs rituels sur les réseaux sociaux et refuse tout compromis avec le Frelimo.

Se disant victime de deux tentatives d'assassinat, alors que deux figures de l'opposition ont été abattues en octobre, l'ex-commentateur politique à la télévision mozambicaine est passé dans la clandestinité à l'étranger depuis des semaines.

"Venancio", comme il est simplement appelé dans la rue, a sous-entendu qu'il pourrait faire son retour pour l'investiture.

"Le 15 janvier, on prendra le pouvoir à Maputo", a-t-il affirmé. "Si on doit perdre la vie dans un combat juste, on la perdra". Il revendique 53 % des voix selon son comptage parallèle.

"Après un si long mouvement de contestation, cela va au-delà de "Venancio", estime depuis Maputo Johann Smith, analyste en risques politiques et sécuritaires.

Nombre des 33 millions d'habitants de ce pays parmi les plus inégalitaires tablaient sur ces élections pour tourner la page du Frelimo, parti d'inspiration marxiste du temps de l'indépendance.

"Je peux me tromper mais même s'il se fait tuer ou autre, le mouvement se poursuivra. C'est presque le printemps de l'Afrique australe", juge Maputo Johann Smith.

Une allusion au recul électoral en Afrique du Sud de l'ANC, parti au pouvoir depuis 1994 contraint à une coalition, puis à la déroute historique au Botswana du BDP qui dirigeait le pays depuis 1966. Autant de camouflets infligés cette année à des partis de libération dans la région.

Sans expérience d'État

Diplômé de droit, Daniel Chapo, ex-professeur de sciences politiques et présentateur de radio n'a pas attendu l'investiture pour effectuer cette semaine un déplacement dans le nord du pays, dévasté par le cyclone Chido, qui a provoqué 94 morts.

De très grande taille et forte stature, Daniel Chapo était visible de loin lors de ses meetings de campagne où il a promis de "travailler avec chaque couche de la société, la jeunesse, les femmes, les hommes, et les anciens combattants". Il a aussi fait miroiter la construction d'écoles et d'hôpitaux et une économie plus robuste.

Egalement, il s'est engagé à éradiquer les violences dans la province septentrionale du Cabo Delgado, cible d'attaques par des groupes jihadistes affiliés au groupe État Islamique depuis 2017.

Ce conflit, qui a fait plus d'un million de déplacés et plus de 5 800 morts, contrarie les espoirs économiques liés aux gisements de gaz naturel dans l'océan Indien. Le géant français TotalEnergies, notamment, a gelé un de ses projets.

Daniel Chapo, qui a commencé sa carrière politique par des nominations administratives du Frelimo, avait été désigné administrateur du district de Palma (nord-est) en 2015. 

"À l'époque, des projets de gaz naturel étaient en cours de développement", souligne Borges Nhamirre, de l'Institut d'Études pour la sécurité de Pretoria. "Il a compris comment traiter avec les multinationales localement." 

Gouverneur de la province centrale d'Inhambane depuis 2016, il a été désigné en mai comme candidat à la présidentielle par le Frelimo, après des débats intenses des quelques 250 membres du comité central et plusieurs votes successifs.

"Le Frelimo n'arrivait pas à se mettre d'accord, ils ont choisi Daniel Chapo pour pouvoir l'influencer. Il ne remet pas en cause les équilibres et sera très encadré", résume un expert qui souhaite conserver l'anonymat. 

"Personne ne pouvait croire à sa nomination parce qu'on n'avait jamais entendu parler de lui", souligne aussi Borges Nhamirre. Il estime également que Daniel Chapo a été choisi parce que "les différentes factions du Frelimo ont compris qu'il était le plus facile à influencer", notamment sur la désignation de ministères ou de postes-clé au sein des forces de sécurité. 

Avec AFP