« Les politiques semblent vivre dans une réalité parallèle»: les patrons en panne de relais au gouvernement et à l’Assemblée
Face à l’Amérique fière et conquérante de Trump, qui promet de relancer la guerre commerciale, d’attirer les investissements et de forer tous azimuts pour accéder à des sources d’énergie bon marché, la France s’inquiète. Toujours sans budget pour 2025, mais engagée à rouvrir le chantier des retraites, seule réforme structurelle des 7 dernières années, la France voit sa croissance réviser à la baisse pour 2025 (à 0,9% contre 1,1%) et le chômage remonter (+3,9% au 4ème trimestre 2024). « L’activité est très molle. On risque de très vite voir la réalité des choses : la récession. On est déjà en stagnation au premier trimestre, et beaucoup d’investissements partent vers les États-Unis » constate Patrick Martin, président du Medef. Les défaillances ont atteint leur plus haut niveau (66.420 entreprises françaises ont fait défaut en 2024), de nombreux secteurs - automobile, chimie, bâtiment, transport routier etc. - sont en difficulté, et les plans de licenciement sont en cours menacent des milliers d’emplois (Fonderies de Bretagne, Vencorex, Michelin, Auchan...).
Reconnaissant que «les sujets d’inquiétude sont innombrables», François Bayrou manœuvre pour décrocher le PS de LFI dans l’espoir d’éviter une censure. Admettant que l’heure est «grave», le ministre de l’Économie Éric Lombard s’est félicité mardi devant l’association des journalistes économiques et financiers (Ajef) d’avoir accueilli « 17 partis et groupes politiques lors des entretiens de Bercy » en vue de l’adoption du budget, «et d’avoir reçu des messages de remerciements très chaleureux, y compris d’adversaires politiques qui ont voté la censure». «Mais le ministre est là pour parler au monde économique, pas au PS», s’indigne un chef d’entreprise.
«Le choix entre la peste et le choléra»
Car les patrons, eux, peinent à faire entendre la voix des entreprises. « On a le choix entre la peste et le choléra, entre l’instabilité politique ou la dégradation des finances publiques », résume Patrick Martin. Et si les patrons n’aiment rien moins que le manque de visibilité, ils jugent que la stabilité politique est aujourd’hui bien cher payée. «Chacun sait que le problème de la France c’est une création de richesse insuffisante. Il faut donc augmenter la productivité et le taux d’emploi, insuffisant chez les jeunes et chez les seniors. Aujourd’hui 40% des Français partent en retraite avant l’âge légal grâce à un dispositif dérogatoire, à commencer par les carrières longues et on veut en rajouter. Mais qui dit que si l’on veut plus de liberté sur l’âge de départ il faut instaurer une décote de 5% par an à vie sur la pension pour ceux qui partent plus tôt ? », interroge Alexandre Saubot, président de France Industrie.
«Commençons déjà par ne pas taxer le made in France», a mis en garde Bernard Arnault, le patron de LVMH, déplorant la hausse annoncée des impôts sur les entreprises françaises, tandis que Florent Menegaux patron de Michelin a pointé les aberrations anti-industrielles des politiques publiques lors d’une audition remarquée au Sénat. Pendant ce temps, le ministre de l’économie Éric Lombard explique sur LCI qu’«on n’est pas un pays libéral... on est dans un pays d’État», que le nombre de fonctionnaires n’est pas un sujet, qu’il n’y a aucune agence de l’État inutile, que ce ne sont pas les prélèvements qui posent un problème mais au contraire la réticence à l’impôt.
«Les relais politiques n’ont pas disparu mais sont mutiques»
Depuis 2017, la politique de l’offre avait pourtant replacé l’économie au centre de la machine. « Il y a eu une vraie politique pro-business mais elle a disparu depuis un an », déplore Alexandre Saubot. «On assiste aujourd’hui à une remise à zéro des compteurs sur la fiscalité, les retraites, la compétitivité, conforte Alexandre Montay, directeur général du Meti, le mouvement des entreprises de taille intermédiaires, ces grosses PME familiales qui font la force du tissu industriel. On pensait avoir passé un cap, mais on s’aperçoit que toute cette base est très friable : ces sujets de compétitivité, du travailler et produire en France, ne sont toujours pas tranchés depuis quarante ans. Tout ce travail n’a pas imprimé, nous allons devoir fournir un énorme effort de pédagogie ». Pourtant, les chefs d’entreprise montent au front, alertent leurs parlementaires sur le terrain. «Mais c’est comme le cheval devant la haie : englués dans une immédiateté budgétaire, ils ne parviennent pas à donner de champs et de perspectives », poursuit-il.
« Les relais politiques n’ont pas disparu, mais sont mutiques. On est dans un temps suspendu. Tout le monde a le regard fixé sur le vote du PLF et PLFSS, mais il n’y aucune projection pour la suite » , conforte François Asselin, qui vient d’achever dix ans de mandat à la présidence de la CPME. « Les travaux sérieux commenceront à la prochaine échéance électorale, en attendant on fait le dos rond », poursuit-il. « Les politiques semblent vivre dans une réalité parallèle, déconnectée des enjeux concrets auxquels font face les TPE-PME. Ils ignorent trop souvent les réalités des entreprises», conforte d’Amir Reza-tofighi, nouveau président de la CPME.
«C’est pire qu’un manque de relais, c’est un vrai antagonisme entre les patrons et la classe politique, qui ne s’intéresse pas à l’entreprise », affirme Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic. « Les politiques ne peuvent pas continuer à « manager » sans écouter les patrons! », défend la patronne d’Ethic, qui affirme « voir tous les hommes politiques qui veulent bien écouter (nos) propositions quels que soient leurs partis».
«Retailleau ne peut pas être sur tous les fronts, il est désormais sur le régalien»
« Trop de sujets sont devenus des questions de compromis politique et plus d’efficacité économique», regrette Alexandre Saubot, à la tête de France Industrie. «Même les plus raisonnables vivent tellement dans la perspective de 2027, qu’ils ne disent rien », ajoute le dirigeant d’un grand groupe. Et de se désoler : « nous n’avons pas de point d‘appui politique ».
Pourtant, Gérard Larcher est monté au créneau, réclamant de poursuivre la réduction du déficit et de la dépense publique. Bruno Retailleau, qui pendant des années à la présidence du groupe LR au Sénat a défendu avec constance la baisse des dépenses et l’augmentation de l’âge de départ à la retraite, défend toujours cette position. « Mais il ne peut pas être sur tous les fronts, il est désormais sur le régalien », observe le dirigeant d’une fédération patronale. Laurent Wauquiez, chef de file des députés LR, «est intelligent, a de l’envergure, mais il est focalisé sur 2027», juge un chef d’entreprise. Maire de Cannes et président de Nouvelle énergie, David Lisnard séduit aussi par son discours libéral nombre d’entrepreneurs, notamment quand il assure haut et fort qu’il ne votera pas un budget orienté vers une augmentation des prélèvements et une perte de compétitivité. «Il défend la retraite par capitalisation mais il y a un tel blocage idéologique chez les syndicats que ça ne peut aboutir qu’à alourdir les cotisations patronales» se désole un patron de la grande distribution. Quant à Édouard Philippe, s’il a jeté un pavé dans la mare en plaidant pour un relèvement de l’âge de départ en retraite jusqu’à 67 ans, « il reste très distancé et ne veut pas descendre dans l’arène », observe un chef d’entreprise. Si les organisations patronales les rencontrent tous, il faut du temps pour construire un programme Les organisations patronales travaillent avec tous
De son côté, Emmanuel Macron, pro-business et défenseur de la politique de l’offre, est aux abonnés absents depuis la dissolution. « L’Élysée c’est l’hôtel dans Shining, on ne sait pas d’où va sortir le fantôme sur son tricycle », résume le représentant d’une grande fédération patronale. Et les prises de position sont rares chez les députés du camp présidentiel. Au PS, « François Hollande manœuvre, et lui qui a pourtant fait passer la réforme Touraine, ne dit même pas qu’il faudrait un allongement de la durée de cotisation sur les retraites», poursuit-il.
En revanche, le RN est « une vraie machine de guerre », s’exclame un patron de PME, « c’est le seul parti omniprésent sur le terrain. Ils sont très organisés, propres sur eux, et nous disent ce que nous voulons entendre». Même si au final c’est Marine le Pen qui décide, et que « son programme économique n’est pas notre tasse de thé. Sur les retraites, les salaires, l’Europe… Ce n’est pas ce à quoi on aspire », précise-t-il. L’alliance entre le RN et l’Union des Droites d’Éric Ciotti, à la sensibilité libérale, qui a présenté un plan de coupe budgétaire « à la tronçonneuse » dans la dépense publique, pourrait faire bouger les lignes. Mais de conclure: « ils existent surtout par défaut, parce que les autres ne sont pas là».