L'Allemagne va refouler à ses frontières les réfugiés illégaux

 Correspondant à Berlin

Jusqu'alors très réticent à adopter une telle initiative, le gouvernement allemand d'Olaf Scholz a annoncé lundi ce qui constitue à ce jour la mesure la plus radicale de sa politique migratoire : le refoulement à ses frontières intérieures des réfugiés en situation illégale, et ceci pour une durée de six mois.  

La ministre de l'Intérieur, Nancy Faeser, a plaidé pour des «renvois efficaces» qui feront suite aux quelque 35 000 refoulements opérés depuis octobre dernier, en particulier lors du championnat d'Europe de football. Pour cela, «nous allons étendre nos contrôles temporaires à toutes les frontières terrestres allemandes, ce qui permettra de limiter davantage l'immigration irrégulière et de nous protéger des dangers aigus du terrorisme islamiste et de la grande criminalité», a déclaré la dirigeante sociale-démocrate. La mesure prendra effet à partir du 16 septembre. 

Ce faisant, cette dernière s'aligne en grande partie sur les revendications de la CDU qui mettait cette mesure dans la balance en échange de son soutien à un plan transpartisan de lutte contre l'immigration illégale. Un sommet en ce sens est attendu mardi en présence des présidents des seize Länder du pays, notamment destiné à définir les modalités de ce plan.

Réponse à l’attentat au couteau de Solingen

Politiquement, cette mesure se veut une réponse à l'émotion créée par l'attentat au couteau perpétré le 23 août à Solingen par un réfugié syrien de 26 ans, dont la demande d'asile devait être initialement traitée par la Bulgarie, le pays d'origine par lequel il était entré dans l'espace Schengen. Revendiqué par l'État islamiste, l'acte terroriste avait fait trois victimes.

Dans la foulée, le gouvernement allemand avait dans un premier temps légiféré sur l'usage des couteaux, puis organisé un premier charter de rapatriement vers l'Afghanistan. À deux semaines d'une nouvelle élection régionale dans le Brandebourg, où l'AfD fait la course en tête, après avoir remporté un scrutin en Thuringe, le chancelier s'efforce de donner des gages à une opinion publique inquiète, soulignent les politologues.

Après l'attaque de Solingen, l'extrême droite avait pour sa part réclamé un arrêt total de l'immigration pour une durée d'au moins cinq ans. Les alliés libéraux d'Olaf Schoz (FDP) se montrent également favorables à des mesures de refoulement, à l'inverse de la branche jeunesse des Verts. Outre-Rhin, des doutes émergent néanmoins sur la légalité de mesures d'expulsion prises à l'initiative d'un État membre.

L'UE prévoit le principe de libre circulation, tandis que les règlements de Dublin stipulent que les demandes d'asile doivent être instruites par l'État d'arrivée des réfugiés au sein de l'espace Schengen. Dès lundi, Berlin a notifié la commission européenne de sa décision et informé ses voisins, dont la France, le Luxembourg, les Pays Bas, la Belgique et le Danemark, a indiqué Nancy Faeser. Depuis près d'un an, de simples contrôles aux frontières de la Pologne, de la République tchèque, de l'Autriche et de la Suisse, ont également été réinstaurés.

Refus autrichien

Le cas échéant, un état d'urgence pourrait être invoqué par l'Allemagne pour justifier ces mesures. L'Autriche a néanmoins rejeté l'initiative de son voisin. Vienne «n'acceptera pas les personnes refoulées d'Allemagne. Il n'y a aucune marge de manœuvre», a aussitôt répliqué le ministre autrichien de l'Intérieur Gerhard Karner, alors que l'extrême droite est favorite des élections législatives qui se dérouleront en Autriche le 29 septembre.

En 2023, l'Allemagne avait adressé près de 75.000 demandes aux autres États membres afin que ces derniers reprennent sur leur sol des réfugiés en situation irrégulière. Or, seules 5000 personnes ont emprunté le chemin de retour. «Il convient de prendre en compte la charge globale de l'Allemagne , notamment les capacités limitées des communes en matière d'hébergement, d'éducation et d'intégration en raison de l'accueil de 1,2 million de réfugiés de guerre en provenance d'Ukraine et de la migration d'asile de ces dernières années», a également plaidé Nancy Faeser qui s'engage dans une opération politique à hauts risques.

Pour leur part, les syndicats policiers – qui furent notamment mobilisés pour refouler cet été près de 22.000 délinquants à l'occasion du championnat d'Europe de football – ont critiqué le projet du gouvernement. «Ce que nous avons fait (cet été) a fonctionné à 100% mais il n'est pas possible de protéger durablement les frontières à une telle intensité», a jugé Andreas Roskopf, président du syndicat de la profession, GdP.