Cet article est issu du Figaro Magazine
LE FIGARO MAGAZINE. - Votre nouveau livre s’intitule, «Je souffre donc je suis». Vous y dénoncez le basculement dans l’idéologie victimaire. Comment en est-on arrivé-là?
Pascal BRUCKNER. - La prédominance du «victimisme» depuis la fin du XX siècle est la confluence de deux facteurs: d’abord le triomphe éclatant de la figure du Christ, l’esclave crucifié qui est aussi le fils de Dieu, révolution anthropologique fondamentale qui fait du faible, de l’opprimé la vérité souterraine de ce monde. Pour la première fois, avec cette révélation évangélique, les forts sont récusés et les vulnérables sanctifiés, promis aux splendeurs du paradis. C’est un renversement des valeurs qui mettra Nietzsche en fureur, lui qui va dénoncer dans le judaïsme, le christianisme, la démocratie, la victoire de la morale des esclaves et inspirera, à son insu, les futurs idéologues du national-socialisme. Le bas mis à la place du haut, l’humilié à la place du noble, le peuple récusant…