Hausse du chômage en France : "Il y a des secteurs qui restent dynamiques et c'est ça aussi qu'il faut regarder" pour le directeur de Manpower France

Le chômage est en hausse au 4e trimestre 2024, selon les chiffres de la Dares tombés lundi 27 janvier. Avec plus 117 000 chômeurs supplémentaires de catégorie A, sans aucune activité sur un trimestre, c'est une hausse de près de 3,9%. Il s'agit de la plus forte remontée du chômage en France (hors Mayotte) en une décennie, selon les chiffres du ministère du Travail.

Benoît Derigny, directeur général de Manpower France, dirige une entreprise spécialisée dans l'intérim.

franceinfo : Est-ce que ce sont les intérimaires qui viennent aujourd'hui grossir le rang des demandeurs d'emploi?

Benoît Derigny : Alors on observe ce phénomène sur l'ensemble des catégories d'emplois, si j'ai bien lu les chiffres qui ont été communiqués ce matin par la DARES. Et pour ce qui concerne notre secteur d'activité, on observe cette tendance depuis maintenant au moins six mois et pratiquement 12 mois. C’est-à-dire que le marché est légèrement en repli et un repli qui a tendance à s'accélérer sur la fin de la période, sur la fin de l'année 2024.

Ceux qui d'habitude enchaînaient les contrats aujourd'hui se retrouvent sans rien ?

On essaye, nous, de systématiquement les proposer ailleurs. C'est le cœur de notre métier et de nos équipes d'essayer de les replacer dans d'autres entreprises. Parce qu'on a une connaissance et un ancrage local très fort, avec plus de 650 agences en France. Mais quand on observe les éléments, ça ne concerne pas simplement les contrats de travail temporaires, ça concerne aussi les CDD et les CDI.

Ce sont donc des licenciements sans bruit, des contrats d'intérimaires qui ne sont pas renouvelés ?

Ce sont des clients qui sont en baisse d'activité et qui sont en situation d'inquiétude. Et donc qui ont généralement moins d'activité qu'ils n'en avaient par le passé et qui ont tendance à ajuster leurs effectifs par rapport à leurs besoins.

C'est donc l'incertitude dont parlent beaucoup les responsables patronaux qui font que, aujourd'hui, il n'y a pas d'investissement, il n'y a pas d'embauches. Vous, vous le constatez ?

Je le confirme absolument. On a bien vu le mécanisme s'accélérer à partir du mois de juillet.

Donc, la dissolution.

Certainement l'incertitude politique et aussi les conséquences d'incertitudes économiques. En gros, la réaction est de dire : en attendant d'y voir clair, on est plus prudent sur les investissements et on est plus prudent sur les embauches. On l'a moins vu sur le troisième trimestre parce qu'il y avait le phénomène des Jeux olympiques. Et si vous avez lu les chiffres, la croissance de PIB du troisième trimestre était de l'ordre de 0,4%, dont la bonne moitié s'expliquait par l'activité des Jeux olympiques. On n'a pas encore le produit intérieur brut du dernier trimestre, mais il est à craindre qu'il soit proche de zéro. Et donc on est véritablement sur la situation et l'incertitude actuelle qui fait que tout le monde est en position d'attente.

Les jeunes font partie des catégories dont le chômage augmente le plus. Les moins de 25 ans connaissent une hausse de chômage spectaculaire de 8,5% sur un trimestre. Est-ce que ça aussi ce sont des populations que vous voyez beaucoup ?

La moitié de nos intérimaires ont moins de 30 ans. Et oui ils sont particulièrement pénalisés. Moi, j'ai une vraie pensée pour les jeunes, parce que je trouve que c'est compliqué quand on a fait des études et qu'on a des attentes d'insertion dans la vie professionnelle, de se retrouver dans une situation plus compliquée que les autres. Donc c'est un sujet qui nous préoccupe tous.

On dit souvent que l'intérim est un thermomètre de la situation de l'emploi. Quels sont les secteurs où vous voyez une baisse d'activité ? Il y a l'automobile, la chimie, la grande distribution, ou est-ce que vous en voyez d'autres ?

C'est vrai qu'il y a des vraies disparités, d'âge, on vient d'en parler, et sectorielle. Les secteurs les plus impactés en ce moment, c'est toute la filière automobile. Il y a le sujet du thermique et de l'électrique, et donc il y a un mouvement structurel derrière qui a des conséquences importantes. On a aussi l'ensemble du bâtiment, de la construction plus exactement. À l'intérieur, il y a d'ailleurs des variations : la construction de bâtiments neufs est plus impactée du fait de la hausse des taux d'intérêt, qui a ralenti les programmes de logements neufs. De l'autre côté, il y a des secteurs qui sont dynamiques et qui restent dynamiques. Je crois que c'est ça aussi qu'il faut regarder.

Donc des secteurs qui embauchent ?

Oui, quand vous prenez l'aéronautique, c'est un secteur dans lequel ils ont une visibilité dans leurs carnets de commandes sur plusieurs années. Vous pouvez prendre les secteurs du service, les métiers de l'énergie. Il y a les métiers du transport. Souvent, ces métiers-là et d'autres d'ailleurs souffrent parfois d'un déficit d'image ou de connaissance, ou tout simplement d'attractivité. Et puis, d'une manière générale, indépendamment du mouvement actuel et que j'espère conjoncturel, on sait de toute façon, pour des raisons profondément démographiques, qu'il y a une pénurie quand même durable de métiers qualifiés. Et quand je dis métiers qualifiés, ce sont des métiers qualifiés soit dans l'industrie, soit dans la construction, soit dans le tertiaire. Et ça de manière durable. Tout simplement parce que la pyramide des âges annonce ça.

Les perspectives pour 2025 sont carrément pessimistes. Il y a des économistes qui disent qu'il va y avoir jusqu'à 100 000 emplois détruits en 2025, un taux de chômage qui va augmenter d'un point pour passer à 8,5% de la population active. Est-ce que de votre fenêtre, celle de l'intérim, vous voyez aussi cela ?

Clairement c'était annoncé début 2024, qu'on allait avoir une remontée du taux de chômage. On n'a pas le quatrième trimestre mais ça va vraisemblablement se confirmer. Et c'est encore probablement le cas en 2025. Maintenant, je pense qu'il faut aussi le regarder dans l'autre sens. Je pense qu'on est plus sur des variations conjoncturelles liées à des cycles économiques. Mais structurellement, si vous regardez la décade précédente, on était, je crois en 2015, à 10,5% de taux de chômage. Je pense personnellement que nous ne reviendrons pas sur des taux de chômage aussi importants et je m'en réjouis pour les personnes concernées. On est plus sur un cycle conjoncturel de variation très accentuée par le contexte politique et économique. Mais structurellement, les taux de chômage qu'on a connu dans les années 2010 ou dans les années 90, je pense qu'on n'y reviendra pas. Parce que, précisément, on sait que dans la population active, il y a une pénurie de talents et de métiers qualifiés et pas forcément très qualifiés et de manière structurelle. Donc c'est plus un défi de formation, d'information et d'accompagnement. Si on a la malchance de se retrouver dans des situations où son emploi s'arrête, il faut voir comment je peux être aidé pour rebondir et retrouver une opportunité ailleurs.