Franui, mochis, gloss pour lèvres pulpeuses... Comment les commerçants profitent des buzz sur les réseaux sociaux
Une framboise glacée enrobée de chocolat : cela paraît banal, mais en quelques mois seulement, les Franui se sont imposés dans les rayons des supermarchés grâce... aux réseaux sociaux. Dégustations test, analyses du contenu, recettes, bons plans : sur TikTok, ces petites gourmandises venues d’Argentine apparaissent dans des milliers de vidéos cumulant des dizaines de millions de vues. Chez Carrefour, l’une des premières enseignes à avoir mis ce produit en avant, on se frotte les mains. Malgré un prix à près de 6 euros le pot de 150g, plus de 280.000 unités ont été vendues en France.
Ce buzz, le distributeur l’a repéré grâce à son équipe dédiée à plein temps à la veille sur les réseaux sociaux. Installée en 2019, elle «scrute chaque jour les tendances et se plonge dans nos assortiments pour voir si nous les détenons», explique Stéfen Bompais, directeur communication clients du groupe Carrefour. «Si on a la référence, tant mieux, on la fait émerger en tête de rayon et on la pousse sur nos réseaux. Sinon, on se rapproche des industriels pour l’avoir.» Pour les Franui, le distributeur a pu profiter de ses bonnes relations avec le fournisseur, qu’il connaissait déjà, pour se constituer rapidement un stock de marchandise.
«On s’est fait dévaliser sans comprendre»
Cette veille sur les réseaux sociaux, beaucoup de retailers l’ont développée pour mieux cerner les attentes de leurs clients… et surfer sur ces tendances. Un complément aux bons vieux échanges avec les fournisseurs, notamment sur les salons professionnels, qui permettaient de découvrir de nouveaux produits à référencer.
Normal a compris la force des réseaux sociaux peu après son arrivée en France, en 2019. Tout est parti d’un produit «basique» dans la gamme de maquillage de l’enseigne, qui vend des produits à bas prix allant du shampoing aux friandises en passant par d’innombrables gadgets. «Une sorte de gloss pour lèvres pulpeuses», se souvient Sébastien Chirouze, directeur France de Normal. «On s’est fait dévaliser sans comprendre plusieurs jours de suite, avant de voir qu’une influenceuse très suivie en avait fait la pub ! Ça fait six ans maintenant et c’est toujours un best-seller.»
Étonnamment, les produits qui buzzent durent dans le temps, assure le patron. «Ça ne s’essouffle pas toujours et ça ne disparaît jamais : les gens prennent l’habitude d’utiliser ou de consommer le produit.» «Au fond, le buzz n’est jamais un total hasard et répond souvent à une attente, donc il y a toujours un socle de clients», acquiesce Stéfen Bompais. Il se souvient ainsi de l’immense succès des mochis, des desserts glacés japonais, qui a duré suffisamment longtemps pour que Carrefour commence à en produire sous sa marque distributeur. «Les mochis font désormais partie de notre assortiment de base en glaces.»
Maintenant, on voit souvent les clients dans les allées des magasins avec des vidéos TikTok, demandant où est le produit.
Sébastien Chirouze, directeur France de Normal
Parfois, le buzz tourne court, «en général quand le produit est éclaboussé par un scandale», relève Stéfen Bompais. «Si les gens regardent l’étiquette et voient que la composition du produit est mauvaise ou douteuse, la mode passe vite.» D’autres fois, l’emballement pour un produit venu de l’étranger se heurte à la réglementation. Ainsi l’importation de la pâte à tartiner algérienne El Mordjene, popularisée sur TikTok à l’automne dernier et sur laquelle plusieurs enseignes avaient misé, a finalement été bloquée par les douanes car la poudre de lait entrant dans sa composition l’empêchait d’être commercialisée dans l’UE.
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Un «puits à souhaits»
Cette attention portée aux tendances numériques a aussi conduit les enseignes à être encore plus à l’écoute de leurs clients. Normal propose par exemple sur son site un «puits à souhaits» où l’on peut signaler un produit que l’on aimerait voir référencé en magasin. Carrefour dispose également d’une «cellule spécifique pour traiter ces demandes». «Parfois, il arrive qu’on passe à côté, reconnaît Stéfen Bompais. Ce sont alors les clients qui nous écrivent pour nous demander une référence, souvent un produit qu’ils avaient l’habitude de consommer lors de leur séjour à l’étranger.»
Surfer sur ce buzz est même quasiment indispensable pour les acteurs low cost, qui n’ont que les réseaux sociaux pour se faire connaître. «Nos dépenses marketings sont très faibles vis-à-vis des autres retailers, explique une porte-parole d’Action. On compte beaucoup sur le bouche à oreille.» «Pour les gens, ça remplace les anciens catalogues, analyse Sébastien Chirouze. Maintenant, on voit souvent les clients dans les allées des magasins avec des vidéos TikTok, demandant où est le produit.»
Pour les géants de la grande distribution, c’est aussi une façon de ne pas se laisser distancer par les nouveaux venus, et de maintenir une image plus jeune. «Cette stratégie vient fidéliser nos clients existants, qui ont accès chez nous aux produits qu’ils ont vus sur les réseaux sociaux, explique Stéfen Bompais. Cela permet aussi de conquérir de nouveaux clients en leur donnant envie de venir par ces produits. La nouveauté est indispensable dans notre métier : c’est une question de survie !»