«J’estime que le travail est une solution pour tout»: Théodore van Gaver, l’entrepreneur qui fait de l’insertion des handicapés le cœur de son projet
En plus des compétences requises pour travailler chez Cassano, il y a un autre point sur lequel Théodore van Gaver, le fondateur de cet atelier de valorisation du bois ne tergiverse pas : la capacité de ses futures recrues à accepter le handicap. «Pendant l’entretien d’embauche, la question est clairement posée. Si un candidat a un problème avec le handicap, il ne pourra pas travailler dans l’entreprise», prévient le trentenaire. Car engager des personnes handicapées a toujours fait partie intégrante de son projet.
De ses onze années passées dans un Esat - établissement et service d’aide par le travail - de l’Arche à Cognac (Charente), où il a notamment été responsable de l’activité bois, il a tiré deux constats. Le premier est que les chutes de chênes récupérées auprès des tonneliers du département sont d’une bien trop grande qualité pour finir en bois de chauffage. Ils peuvent être valorisés. Le deuxième: il a observé qu’il est très difficile de placer dans des entreprises ordinaires les handicapés les plus doués. Certains ne savent ni lire, ni écrire, et les entreprises sont fermées à ce type de profil.
Théodore van Gaver, titulaire d’un DUT de génie mécanique et productique ainsi que d’un diplôme d’éducateur spécialisé, a d’abord fabriqué sur son temps libre du petit mobilier à partir de ce bois qui aurait dû partir au rebut. Puis il mûrit pendant quelques années son idée d’un atelier semi-industriel.
Il a sauté le pas en septembre 2021, louant un bâtiment dans le village charentais de Sigogne. Il y a installé ses machines qui ont nécessité un investissement de 500.000 euros. Quatre mois plus tard, William, qui souffre d’une déficience mentale légère, alors âgé de 24 ans, l’a rejoint.
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Fidèle au poste
«Mon projet social vise à démontrer qu’une TPE classique, c’est-à-dire qui n’est donc pas une entreprise adaptée, peut intégrer une personne avec un handicap», souligne le dirigeant qui a évalué qu’il était en mesure d’employer une personne handicapée pour trois personnes valides. Cassano n’ayant pas encore dépassé le seuil des cinq salariés, William est aujourd’hui le seul handicapé recruté par l’entreprise.
Durant ses deux jours chez Cassano, où il exerce à horaires fixes, de 8 h 15 à 17 h 15, il est chargé du déblaiement du bois, il aide ses collègues pour le collage de certaines pièces, il opère à l’entrée comme en sortie de machines et il place du bois sur des palettes. «C’est un poste qui est assez physique, avec des ports de charges lourdes», précise le chef d’entreprise. Le reste de la semaine, William travaille à l’Esat car il a besoin d’un temps de sociabilisation avec ses pairs.
Si certains dirigeants redoutent qu’un travailleur handicapé soit plus souvent en arrêt maladie qu’un autre, Théodore van Gaver remarque qu’en trois ans William n’a jamais manqué à l’appel. «Lorsque nous avons eu des chutes de neige, ce qui est un événement dans notre département qui n’est pas équipé pour dégager les routes, tous mes collaborateurs sont restés chez eux à part William. Malgré les intempéries, il a pris son scooter pour venir à l’atelier, fidèle au poste», relate-t-il.
Rôle social de l’entreprise
Comme William n’a pas la notion du temps, deux salariés veillent qu’il débauche bien à 17 h 15. Comme tout un chacun, William peut faire des erreurs. «Cela lui est arrivé deux fois», admet Théodore van Gaver qui dernièrement a vu rouge. William a confondu deux chariots et il a passé à la coupe du bois d’œuvre à la place du bois de chauffage. «En une heure, j’ai perdu 2500 euros, lâche le dirigeant qui ne s’est pas privé de lui exprimer son mécontentement. Ce n’est pas parce qu’une personne est handicapée qu’on doit tout accepter. Comme tout salarié, elle doit être recadrée si nécessaire.»
Pour le dirigeant, c’est surtout la crainte que les personnes handicapées ne soient pas rentables qui freine leur recrutement dans les entreprises traditionnelles. «Mais, sur des tâches simples et répétitives elles le sont. William range notamment le bois et, l’ordre de l’atelier, c’est aussi de la productivité», assure-t-il. Théodore van Gaver a des tâches administratives supplémentaires mais il bénéficie aussi d’une aide de l’État au titre de la reconnaissance de la lourdeur du handicap (RLH) de William.
«Ce qui me passionne dans ce que je fais, c’est que je crois beaucoup au travail, ajoute l’entrepreneur. J’estime que c’est une solution pour tout. Maintenir les gens dans des situations d’assistanat est une catastrophe. Le rôle social de l’entreprise, c’est de s’ouvrir un peu sur ces sujets dès lors qu’ils ne nuisent pas à sa rentabilité.»