«À la limite du déguisement», «stylisme saugrenu», «manque de créativité»: la Fashion Week de New York fait débat

Ces derniers temps, on a, semble-t-il, jamais autant parlé de la mode américaine. La faute, sans doute, aux nouvelles personnalités de la pop culture que sont Taylor Swift et Travis Kelce, dont les photos des fiançailles ont fait le tour du monde, et Sydney Sweeney, sous le feu des projecteurs depuis sa campagne controversée pour la marque de jeans American Eagle... Ajoutez à ça le changement de direction à la tête du Vogue US et le succès phénoménal du monument de la mode et de l’American Dream, Ralph Lauren. On espérait donc une Fashion Week de New York plus excitante que cette saison tiède...

Tout avait pourtant bien commencé, avec le roi de New York : Ralph Lauren. Les affaires de l’Américain ne se sont jamais aussi bien portées, et déjouent tous les pronostics dans un contexte économique compliqué pour le luxe. En étant sûr de son goût et de son identité, le kid du Bronx a créé son style (souvent copié, jamais égalé) et construit ce qu’aucun autre créateur américain n’a réussi à faire : non seulement un empire, mais aussi -et surtout- un lifestyle. Ce 10 septembre, c’est chez lui, dans ses bureaux de Madison Avenue, que la marque présente sa nouvelle collection féminine en tout petit comité, mais devant de nombreuses stars - Jessica Chastain, Oprah Winfrey, Naomi Watts, Nick Jonas et Priyanka Chopra...

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Avec ses inspirations nautiques (beaucoup de blanc, de rayures), son jeu sur le masculin-féminin (superbes costumes, salopettes à l’esprit workwear), ses jeux sur les codes preppy (pulls cricket, chemises et cravates) et Americana (les peignoirs aux imprimés presque navajos), le répertoire est du pur Ralph, chic, nonchalant ou, comme disent les Américains, effortless. Certains diront que tout ça manque d’audace fashion. Mais la femme Ralph Lauren ne cherche pas de veste à trois manches! Elle veut du vêtement, du vrai. La formule fait mouche depuis cinquante ans et ne s’est jamais aussi bien vendue.

Du pur Ralph, chic, nonchalant ou, comme disent les Américains, effortless Photo: Isidore Montag / Gorunway.com

Le lendemain matin, c’est un autre monument de la mode américaine (moins connue chez nous) qui défile. J. Press, marque pour hommes fondée en 1902 sur le campus de Yale et qui, depuis, est devenu un emblème du style Ivy League. C’est, dit-on, la marque favorite de l’ancien président George W. Bush, qui a aussi habillé plusieurs générations de Kennedy et Miles Davis. Avec Brooks Brothers, c’est surtout le repaire des messieurs américains, qui vont y chercher les mêmes blazers à boutons dorés, chemises en oxford, et autres chinos qu’ils apprécient depuis toujours. Il y a quelques jours, la marque a nommé un nouveau directeur artistique, Jack Carlson, qui s’est fait un nom dans l’univers du menswear avec sa marque Rowing Blazers, inspirée du monde très codifié de l’aviron, et devenue un véritable phénomène sur Internet au tournant des années 2010.

Sur le papier, le mariage de ce quadragénaire preppy et de cette maison historique pouvait sembler parfait. Hélas, le résultat tombe franchement dans le déguisement du parfait adepte du look Ivy League : polo de rugby sur chino à pinces, blazer en tweed, mocassins impeccablement vernis, pantalon en velours côtelé de couleur... Certains vêtements, seuls, fonctionneront très bien pour les adeptes de cette (belle) maison. Mais pour lui donner un nouveau souffle, ça manque d’idées, de nouveautés.

Le retour en demi-teinte de J.Press, le tailleur favori de l’ancien président George W. Bush, qui a aussi habillé plusieurs générations de Kennedy et Miles Davis. Thomas Concordia / Thomas Concordia / Thomas Concordia

C’est justement ce qu’essaie de faire Todd Snyder : renouveler le très classique look masculin américain. Le créateur, passé par les studios de Polo Ralph Lauren et J. Crew, a fondé sa marque en 2011. Depuis, il a, en quelque sorte, pris le créneau des marques historiques que sont Brooks Brothers et J.Press en rafraîchissant le look. Son prêt-à-porter est facile, de bonne facture, et surtout, bien placé en termes de prix (compter autour de 250€ pour une veste en jean). Cette saison, il signe encore de très beaux costumes, plus amples à la Armani, des blousons pilote en coton lavé pastel franchement réussis, des chemises à col cubain... Franchement désirable, même si le show est un peu plombé par certaines idées de stylisme (signée du gourou de la mode masculine Jim Moore, ex-GQ) qu’on pourrait qualifier de saugrenues - comme ce smoking porté à même la peau ou cette veste tenue à la main qui traîne sur le sol.

Pour son deuxième défilé chez Calvin Klein, Veronica Leoni s’attaque à l’un des codes maison les plus évidents, monument de la pop culture : le fameux élastique des sous-vêtements « CK ».

Autre show très attendu de la saison de mode new-yorkaise, celui de Veronica Leoni chez Calvin Klein. L’Italienne présente sa deuxième collection pour la marque devenue emblème du minimalisme à l’américaine. Et semble avoir décidé de s’attaquer à l’un des codes maison les plus évidents, monument de la pop culture : le fameux élastique des sous-vêtements «CK». Elle en fait une robe en sorte de tweed d’élastiques, les appose sur une paire de leggings blancs, sur la visière d’une paire de lunettes de sport ou sur la bande d’un short de pyjama rayé porté par un garçon à la chemise et cravate ton sur ton. Le reste emprunte au répertoire minimaliste de Calvin Klein (robes tabliers, modèles trois trous comme faites de papier froissé, tailoring précis), joue plus sur l’austérité que sur le sexy. Puis Leoni s’éparpille, comme avec ces sortes de shorts aux faux airs de couche-culotte à imprimés fleurs ou ces pompons qui se balancent au niveau des tibias d’une fille en slip dress noire pourtant réussie. Encourageants, les looks homme jouent la sobriété (chemises et chinos ton sur ton aux volumes généreux, matching sets veste de travail-pantalon, surchemises à l’esprit militaires)... Affaire à suivre.

Pour le printemps-été 2026, la New-Yorkaise de Calvin Klein joue le registre minimaliste, parfois sexy, souvent austère Photo: Isidore Montag - Filippo Fior / Gorunway.com / Photo: Isidore Montag - Filippo Fior / Gorunway.com / Photo: Isidore Montag - Filippo Fior / Gorunway.com
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Le lendemain, Veronica Leoni est au premier rang du défilé Khaite. Cate Holstein, la fondatrice, a fait de sa marque créée en 2016 une référence de la mode new-yorkaise contemporaine - les influenceuses, notamment, ne jurent que par ses créations «quiet luxury». Elles sont d’ailleurs nombreuses au premier rang, côtoyant des célébrités comme l’actrice Aubrey Plaza ou le mannequin Rosie Huntington-Whiteley. Bref, les astres semblent alignés pour l’Américaine... Qui se rate en beauté. Elle emprunte maladroitement à Anthony Vaccarello chez Saint Laurent (la scénographie un peu dramatique, les lunettes noires, une certaine attitude, les hauts flous à épaulettes) et à Simone Bellotti chez Bally (les associations de couleurs, les jeux de volume), joue un répertoire connu qui n’est pas le sien.

Les volumes des jupes sont peu flatteurs (notamment les trois derniers passages, où Kendall Jenner et Eve Jobs semblent nager dans leurs jupes boules à pois), les placements des poches franchement incongrus, les découpes en biais d’un blazer en cuir tombent à plat. La chaussure phare de la collection, sorte de car shoe posée sur un mini-talon, a des airs de mariage de la carpe et du lapin. Le tout en se prenant un peu trop au sérieux... Ce qui a fait le succès de Khaite, c’est sa simplicité sophistiquée - il y a d’ailleurs dans la collection quelques jolis cuirs, des jeans simples qui font mouche, malheureusement noyés dans cette tentative ratée de démonstration de force. Pourquoi faire compliqué quand on sait faire simple?

Chez Khaite qui a pourtant le vent en poupe, une tentative ratée de démonstration de force Khaite

L’exercice de simplification semble au contraire celui opéré par un autre grand nom de la mode américaine, Michael Kors, qui livre une très réussie collection au chic indéniable, loin de l’image tape-à-l’œil qu’il a faite sienne ces dernières années. Beaux costumes ceinturés dans des tons terreux, grandes vareuses fluides, robes asymétriques révélant juste ce qu’il faut, cuirs perforés d’une souplesse folle, volumes généreux... Bref, du (très) bon Michael Kors.

Les affaires de la marque Cos vont très bien aux États-Unis! Et cette collection du printemps respire l’air du temps. »

Simplicité aussi, chez Cos. La marque suédoise de prêt-à-porter accessible (propriété du groupe H&M) se prête depuis quelques saisons déjà au jeu du défilé. Elle le fait à New York, car la Fashion Week de Stockholm reste trop confidentielle, et surtout parce que les affaires de la marque vont très bien aux États-Unis. Cette collection respire l’air du temps. Pour l’homme, des manteaux longs croisés impeccables, des costumes boxy bien taillés (à un prix défiant toute concurrence), des surchemises militaires portées rentrées dans un chino assorti (un look qui, décidément, a fait des émules sur les podiums new-yorkais), des polos en maille très jolis, des bombers zippés... Bref, un look minimaliste très scandinave qui fait mouche et incite à pousser les portes des (nombreuses) boutiques Cos. Pour la femme, l’allure joue le même répertoire, mais un peu trop monacal (grands pulls col V portées sur jupe assortie, capes enveloppant les épaules).

Cos photo: Isidore Montag / Gorunway.com

Depuis une bonne dizaine d’années, Tory Burch s’est affirmée parmi les grands noms de la Fashion Week de New York. Sa marque, fondée en 2004, est une valeur sûre d’un calendrier qui manque cruellement de têtes d’affiche. Logiquement, son défilé, lundi soir à Brooklyn, attire son lot de célébrités - Jessica Alba, Emma Roberts... Sur le podium, Burch joue avec les tensions, s’approprie des codes preppy (polos en maille, jupes sous le genou) et plus féminins (ensembles jupe-débardeur froissés). Les beaux blazers à la carrure marquée sont portés avec des jupes fluides, les vestes Nehru évoquent le souvenir de Giorgio Armani, les chemises en laine d’un chic fou se passent sous une sorte de ciré jaune très joli. « J’avais envie de travailler sur les matières, raconte-t-elle. Mais aussi de jouer avec les contrastes, les approximations, la tension entre les différents univers, le tout de manière très féminine. J’aime, comme toujours, jouer avec les codes du sportswear américain, car je suis fière d’être une créatrice américaine - aujourd’hui, le monde en général s’inspire par ce que nous avons à offrir. Mais j’aime m’inspirer de femmes du monde entier.» Si le résultat est efficace, on aimerait voir Tory Burch aller plus loin encore, pousser le curseur, pour vraiment marquer les esprits.

Tory Burch Kylie Cooper / REUTERS