«Ouvrages islamistes» et «règlement discriminatoire» : à Lyon, le dernier lycée privé musulman sous contrat risque de perdre sa subvention

Le dernier lycée musulman sous contrat avec l’État est menacé de perdre sa convention avec l’Éducation nationale. Une commission se réunira ce jeudi au sein de la préfecture du Rhône pour décider de l’avenir de la cité scolaire Al-Kindi, fondée en 2007 à Décines-Charpieu, dans la banlieue est de Lyon, et sous contrat depuis 2012. Elle fait suite à un rapport d’inspection d’avril dernier pointant des non-conformités de la gestion financière mais surtout des «manquements graves» en matière d’«atteintes aux valeurs de la République».

Les défenseurs de cet établissement connu pour son taux de réussite au bac de 100%, récusent tout «séparatisme». Ils pointent un «acharnement» contre les établissements musulmans après les procédures visant le lycée Averroès à Lille et le collège Avicenne à Nice. Une partie des familles des 620 élèves d’Al-Kindi, répartis du CP à la terminale, ont manifesté le week-end dernier devant l’établissement. Elles ont dit craindre sa fermeture en cas de résiliation du contrat avec l’Éducation nationale, qui paye aujourd’hui les 36 professeurs sous contrat, pour un montant de 1,6 million d’euros annuels. Contrat renouvelé par avenant préfectoral au mois d’avril 2024.

Deux ouvrages radicaux à la bibliothèque

Au cœur des reproches formulés par la préfecture figurent «deux ouvrages islamistes radicaux» trouvés dans le centre de documentation et d’information (CDI) du collège et du lycée lors d’une inspection menée en avril dernier. Des ouvrages «qui justifient le djihad et promeuvent une vision particulièrement rétrograde de l’islam», selon le rapport préfectoral. Le document, daté de fin septembre, les présente comme faisant «la promotion du djihad violent», prônant «une application rigoureuse de la Charia» comportant la peine de mort pour blasphème et homosexualité ou légitimant les violences conjugales.

«Il est du devoir de tous les musulmans, formant un seul État ou plusieurs États, de se doter de toutes sortes d’armements militaires et de se perfectionner dans l’art de la guerre, non seulement en vue de repousser les éventuels assauts de leurs ennemis, mais aussi pour être en mesure d’assurer la suprématie de la parole de Dieu et de répandre la justice, le bien et la clémence sur terre», annonce ainsi l’un des ouvrages aux jeunes lecteurs potentiels.

Parmi d’autres «ouvrages clairement positionnés en dehors du cadre républicain», l’un disserte sur «le devoir d’obéir à l’époux dans ce qui est convenable» ou encore «Le devoir de satisfaire les besoins sexuels». Une jeune fille peut y apprendre «qu’elle doit répondre à celui-ci, sans lassitude ni ennui, car il ne lui est pas permis de refuser les avances de son époux». En parallèle, aucune séance d’éducation sexuelle n’est dispensée aux élèves de collège et lycée comme cela est pourtant prévu par l’Éducation nationale.

Un professeur écarté

«Ces ouvrages n’ont pas été empruntés et ont été retirés depuis l’inspection, assure au Figaro l’avocat du lycée Me Sefen Guez Guez. Il y a eu 11 inspections depuis 2013 qui n’ont jamais pointé de difficultés sur ces ouvrages. Ils font partie d’un corpus classique qui aujourd’hui peut poser question, mais ce n’est pas de la propagande djihadiste. Ces livres ne sont pas interdits, ils sont en vente libre». Le précédent rapport d’inspection (datant de 2023), également consulté par Le Figaro, ne mentionne en effet pas de problèmes sur la pédagogie d’Al-Kindi. Sefen Guez Guez assure par ailleurs que l’État aurait donné son feu vert au passage sous contrat de classes supplémentaires après inspection.

Quant au règlement intérieur, jugé «discriminatoire» envers les filles par les services de l’État, il aurait été «pris sur le modèle d’établissements catholiques où la distinction entre filles et garçons existe, comme à Stanislas » assure l’avocat. Il interdisait encore récemment les hauts moulants ou transparents, les shorts ou jupes courtes, ainsi que le maquillage, les piercings et autres faux cils. Le texte aurait été modifié depuis l’inspection du printemps.

De manière générale, le lycée assure par la voix de son avocat s’être conformé aux exigences de la préfecture. Un des professeurs, épinglé pour le contenu de ses vidéos publiés sur YouTube a ainsi été mis à pied puis licencié. Face caméra, il avait notamment défendu des imams expulsés de France ou condamné et critiqué la laïcité, selon le rapport préfectoral.

«Acharnement systématique»

Ce professeur est présenté comme «très impliqué dans différentes structures connues pour leur proximité avec les frères musulmans». Une influence qui se retrouve au CDI avec la présence d’une trentaine de livres aux éditions Tawhid, «pôle frériste lyonnais», selon les services de l’État. «Cela pose la question d’une influence étrangère», souligne une source proche du dossier. Influence documentée dès 2019 par le livre Qatar Papers de notre journaliste Georges Malbrunot et Christian Chesnot à travers des virements à Al-Kindi en provenance du Qatar.

Nazir Hakim, président fondateur d’Al-Kindi et ancien vice-président de l’UOIF en France est quant à lui élu de la République dans la majorité de Gaël Perdriau (ex-LR) à Saint-Étienne. Son établissement est aujourd’hui soutenu de l’autre côté du spectre politique par les députés LFI du Rhône, Idir Boumertit et Abdelkader Lahmar qui ont pointé un «deux poids deux mesures qui cible injustement les établissements musulmans». «Nous demandons le même traitement que les autres , le même traitement que le lycée Stanislas qui avait pu garder sa convention en se mettant en conformité, abonde Me Guez Guez. Nous nous sommes amendés avant même la commission mais la préfecture est directement dans une volonté de résiliation».

«Il ne s’agit pas d’une mise en demeure mais de savoir si nous voulons être dans une relation contractuelle engageant de l’argent public», oppose une source proche du dossier. La préfecture reproche par ailleurs à Al-Kindi une confusion dans l’utilisation de l’argent public entre classes conventionnées (80%) et hors contrat (20%). Une demande d’élargissement du périmètre du contrat était d’ailleurs en cours auprès du rectorat, selon nos informations. Le recteur de la mosquée de Lyon et président du conseil des mosquées du Rhône, Kamel Kabtane dénonce au Figaro «un acharnement systématique» tout comme le président de Fédération nationale de l’enseignement privé musulman, Makhlouf Mamèche. Ce dernier évoque des «décisions disproportionnées» dans «un contexte hostile», «réduisant injustement la liberté d’enseignement». Il évoque la «demande croissante des familles» d’un enseignement confessionnel et assure que Al-Kindi «respecte les valeurs de la République».

Des arguments que feront entendre les soutiens de l’établissement lors de l’audience de jeudi face à la commission. La décision devrait être rendue d’ici plusieurs semaines. Elle pourrait faire l’objet de recours.