Avec la guerre en Ukraine en toile de fond, Vladimir Poutine se pose en candidat des « valeurs traditionnelles »

Après avoir annoncé, vendredi dernier, en pleine remise de décorations militaires sa candidature à la présidentielle qui aura lieu le 17 mars, Vladimir Poutine tiendra ce jeudi sa conférence de presse annuelle. Un rendez-vous qui marque le début de sa campagne électorale où il sera le candidat de Russie Unie et Russie juste. « Le président russe a d’ailleurs pris toutes les mesures favorables à sa réélection puisqu’il y a peu de candidats significatifs qui sont autorisés à se présenter, pour ne pas dire aucun », juge le directeur de recherche à l’Iris et ancien ambassadeur, Jean de Gliniasty.

La guerre un élément de la campagne

En toile de fond du scrutin, la guerre en Ukraine qui dure depuis près de deux ans, s’impose comme l’un des éléments de la campagne. « L’opération spéciale » qui a fait plus de 350 000 blessés et tués côté russe -quasiment les mêmes chiffres circulent côté ukrainien- apparaît parmi les premières préoccupations des Russes avec le niveau de vie, les salaires et les retraites. Selon l’institut de sondage, Centre Levada, « le niveau de soutien aux actions des forces armées russes reste aux alentours de 74 %. La majorité des personnes interrogées estiment que l’opération spéciale est correctement menée. Mais dans le même temps, la part des Russes favorables aux négociations de paix continue de croître jusqu’à 57 % en novembre ».

À l’occasion de la conférence de presse, Vladimir Poutine devrait défendre les mesures politiques prises en cette période de guerre. Même si pour Jean de Gliniasty elle ne sera « paradoxalement pas un élément majeur de la campagne électorale russe, sauf en cas d’émergence d’un groupe activiste par exemple. Le conflit est accepté comme un état de choses et la population rurale ou pauvre, qui est largement mise à contribution pour le recrutement des soldats, y trouve son compte pour des raisons financières puisque le gouvernement central donne beaucoup d’argent aux mobilisés, aux veuves de guerre, aux contractuels, etc ».

Poutine en représentant des « traditions »

Le président russe a néanmoins accéléré un virage conservateur avec l’invasion de l’Ukraine. Face à un occident décadent, Vladimir Poutine a défendu un discours déjà largement intégré à sa politique : la défense des « valeurs traditionnelles ». Dès son retour au pouvoir en 2012, le chef de l’État a opté pour cette stratégie en se rapprochant de l’Église orthodoxe, en actant des lois sur la famille (dépénalisation les violences domestiques, interdiction de propagande homosexuelle…) et en allant jusqu’à l’intégrer dans la nouvelle Constitution de 2020. Dans les nouveaux amendements, la « foi en Dieu » et le mariage comme exclusivement « l’union d’un homme et d’une femme » sont intégrés.

Ces références identitaires, religieuses et familiales visent à se détacher de l’Occident et à apparaître comme le représentant des « traditions » menacées par la mondialisation, l’immigration, des thèmes propres à l’extrême droite. Les liens avec des dirigeants européens et des partis partageant les mêmes idées sont établis : Viktor Orban, Geert Wilders, Robert Fico… Un discours qui permet aussi à Vladimir Poutine de se rapprocher de nombreux mouvements traditionalistes et souverainistes à l’international.

Le droit à l’avortement ciblé

Le conflit a permis aux autorités russes de s’attaquer à un certain nombre de droits et de liberté (information et d’expression). Le 30 novembre dernier, la Cour suprême de Russie a banni pour « extrémisme » le « mouvement international LGBT et ses filiales ». Elle ouvre la voie à des poursuites judiciaires et des peines de prison contre les homosexuels et militants défendant leurs droits en Russie.

Actuellement, la dernière campagne politique et médiatique vise un des vestiges progressistes de la révolution russe : le droit à l’avortement, acquis en 1920. Le patriarche Kirill et plusieurs dirigeants de régions et fédérations (Mordovie, Tatarstan, Tver, Kaliningrad, etc) défendent des positions anti-IVG. Elles ont pour certaines déjà interdit « l’incitation à l’avortement » un concept que la chambre haute du Parlement, a proposé d’étendre à l’ensemble du pays. Pire, sa présidente Valentina Matvienko a déclaré que l’avortement ne doit être plus autorisé sauf raison médicale ou viol.

Au prétexte de relancer la courbe démographique russe, qui a encore chuté avec le conflit, certains élus vont jusqu’à promouvoir l’idée que les femmes russes devraient se consacrer avant tout à un rôle de mère, et ainsi renoncer à poursuivre des études universitaires. Ce courant a surtout reçu le soutien du président russe qui, à l’occasion d’une discussion avec des membres de la société civile en novembre, a évoqué l’avortement comme « un problème aigu » face à l’échec de sa politique démographique…