Au théâtre du Petit Saint-Martin, on ne reconnaît pas Les Gratitudes

Michka (Catherine Hiegel) a le regard perdu. Elle n’arrive plus à remplir ses mots croisés. Elle répète qu’elle a peur. Elle cherche ses mots, les trouve de moins en moins. S’inquiète. Elle va être placée dans un Ehpad. Marie (Laure Blatter), une jeune voisine, lui rend souvent visite. Jérôme, l’orthophoniste (Pascal Sangla), lui fait passer des tests pour raviver sa mémoire qui flanche, retarder l’oubli. Il explique qu’il connaît les symptômes de l’aphasie, est très attentif à leur évolution.

Lui aussi a ses problèmes. Il n’a pas revu son père depuis longtemps. Michka l’encourage à reprendre contact avec lui. C’est important de dire les choses aux gens qu’on aime, merci en particulier, lui assure-t-elle. Pour sa part, elle souhaite retrouver le couple qui l’a sauvée enfant de la déportation.

On attendait beaucoup après Stallone d’après la nouvelle d’Emmanuèle Bernheim que Fabien Gorgeart a créé en 2019 avec une Clotilde Hesme prodigieuse. Sa recette ne fonctionne pas sur le roman de Delphine de Vigan, Les Gratitudes (JC Lattès, 2019) qu’il semble avoir parcouru en diagonale. Si le spectacle précédent était réussi, cette fois, on est déçu. On devrait être ému par le sort de Michka qui était une parolière, à succès semble-t-il, avant d’être à la retraite, mais on reste dans la position de témoin, à distance, au bord de l’histoire qui emprunte trop de chemins sans aller jusqu’au bout.

Un décor trop froid

Ça commençait pourtant bien. Pascal Sangla, également musicien, pianote tandis que la salle du Petit Saint-Martin se remplit. Il nous propose ensuite de l’accompagner en chantant avec lui. Au centre du plateau, sa partenaire Laure Blatter dirige les amateurs sur l’air d’Une chanson douce, d’Henri Salvador, puis de Mistral gagnant, de Renaud. Arrive Catherine Hiegel qui entonne Ma préférence à moi, de Julien Clerc. Démarche assurée, en pull et pantalon ample, souriante, puis plus du tout. Elle s’interrompt soudainement. S’assoit dans un fauteuil et se fige, les yeux dans le vide.

Pourquoi la sauce ne prend-elle pas ? Les personnages de Marie et de Jérôme qui s’adressent à nous peut-être. Si c’est pour susciter notre empathie, de surcroît en chantant, l’objectif n’est pas atteint. Ils manquent de chair. Même le décor nous laisse de marbre. Les ampoules placées au sol sont inutiles. Le metteur en scène a voulu trop bien faire en se reposant sur l’intrigue. Cela ne suffit pas.

Dans ces Gratitudes présenté dans le cadre du Festival d’automne en 2023, on retient surtout le jeu inouï de Catherine Hiegel. À 78 printemps, elle passe de l’état de vieille dame à celui de petite fille avec une justesse qui force le respect. On comprend ce qui a séduit l’ancienne doyenne de la Comédie-Française dans ce spectacle. Habitée, elle parvient encore à se surprendre et à surprendre. Ce n’est pas le cas de ceux qui l’entourent.


« Les Gratitudes », au Théâtre du Petit Saint-Martin (Paris 10e), jusqu’au 27 avril. portestmartin.com