«On reçoit les excréments de tout le quartier» : près de Bordeaux, des habitants dénoncent un «péril fécal»

«On est complètement dépassés par la situation», déplore Frédéric Encuentra, habitant du quartier Capeyron à Mérignac. La maison du photographe, acquise en 2014, est régulièrement inondée depuis plusieurs années. La raison ? Le reflux des eaux usées. Le niveau de l’eau a déjà atteint jusqu’à 40 centimètres dans les pièces de son domicile, qui n’est pourtant pas placé dans une zone inondable.

Lors de fortes pluies, les eaux usées se mélangent aux eaux pluviales et débordent des égouts. «On reçoit les excréments de tout le quartier», souffle Laurent Foerstner, né à Mérignac et lui aussi très touché lors des épisodes pluvieux. «L’eau est très sale. Les matières fécales oui... Mais il y a de tout. J’ai même déjà retrouvé des serviettes hygiéniques», assure Frédéric Encuentra. Trois habitations sont particulièrement touchées. Autour de l’avenue Magudas, l’avenue de la Libération et l’avenue Henri Barbusse, plus de 250 foyers seraient concernés par ces reflux. «À chaque fois qu’il y a eu des débordements, j’ai appelé la mairie pour avoir de l’aide mais elle n’a rien fait. Quand on se retrouve les pieds dans la merde, personne ne vient» selon Frédéric Encuentra.

«Regardez... 1999, 2013, 2014, 2018, 2021, 2023 et 2024. C’est de plus en plus fréquent», s’inquiète Paul Bounie, président du conseil syndical de la résidence Anabella, qui a soigneusement noté les dates des dernières intempéries qui ont conduit à des dégradations.

«C’est un scandale sanitaire»

Dans une étude de 2014 réalisée par la métropole, le réseau était déjà qualifié d’«insuffisant», souligne Laurent Foerstner. Pour les habitants, c’est l’urbanisation grandissante qui a conduit à cette situation. «Malgré un réseau qui n’était pas aux normes, 300 logements se sont construits sur un tronçon de 100 mètres» explique-t-il. Sa femme est tombée malade après les dernières inondations en date du 19 juin 2024. «Trois jours après, elle vomissait et elle avait de la fièvre. On lui a diagnostiqué la bactérie Escherichia coli», confie-t-il au Figaro. «C’est un scandale sanitaire. Ça fait 25 ans que ça dure et rien n’a été fait pour régler le problème», regrette Michel Pincos, également durement touché par ces débordements.

Le 15 janvier dernier, l’Agence régionale de santé (ARS) a été alertée. Dans un document que Le Figaro a pu consulter, elle a répondu le 28 janvier : «L’assainissement et les manquements à la salubrité au sens du Règlement Sanitaire Départemental relèvent de la compétence des maires ou de leurs groupements.» 

Détruire une maison pour construire un bassin de rétention

Des études ont été réalisées depuis les catastrophes naturelles de 2013 et 2021 pour «comprendre les raisons de ces inondations et pouvoir trouver des solutions», avance Julie Samblat, directrice ingénierie et patrimoine à la Régie de l’eau de Bordeaux-Métropole. Trois solutions ont alors été envisagées. La première serait de redimensionner le réseau sur une longueur de deux kilomètres pour un coût de 10 millions d’euros. «C’est un investissement très conséquent et cela nécessiterait deux ans de travaux», explique-t-elle. Autre hypothèse, installer des batardeaux sur les maisons pendant les épisodes de fortes pluies. «Une solution qui ne serait pas viable sur le long terme», selon l’ingénieure.

La métropole privilégierait finalement la solution de détruire une maison pour construire un bassin de rétention. En janvier 2023, la Régie de l’eau a alors proposé à Frédéric Encuentra de racheter sa maison, pour la raser et ainsi construire le bassin de rétention nécessaire pour régler les problèmes de saturation du réseau par les eaux de pluie. «Nous sommes dans l’obligation d’acheter une parcelle privée pour construire ce bassin. La propriété de Monsieur Encuentra est sur un point bas dans le lit de Caudeyran, donc c’est le meilleur endroit pour installer le bassin. Son bien étant dégradé, on lui propose d’acheter sa maison au prix neuf pour qu’il puisse se reloger.» Une offre que refuse catégoriquement le photographe : «Je ne suis pas vendeur. Mes enfants sont scolarisés à Mérignac. Mon activité professionnelle, ma vie... Tout est ici. Je ne compte pas déménager. On me place en vendeur plutôt qu’en victime.»

L’association des Riverains de l’avenue de Magudas, l’ARPRAM, dénonce un «péril fécal» et réclame une mise en conformité du réseau, avec la séparation des eaux pluviales et des eaux usées, pour faire en sorte de faire face aux prochains événements climatiques. L’association indique que, sans réponse des collectivités, une plainte sera déposée contre la Métropole pour manquement à la salubrité et mise en danger de la population, devant le tribunal administratif de Bordeaux.