« Nous défendons des valeurs américaines et universelles» : à New York au défilé Ralph Lauren, le visage positif de l’Amérique

Vendre l’« American dream » en pleine ère Trump et de l’« American bashing », est-ce mission impossible ? Pas à en croire Ralph Lauren. Les affaires vont bien pour le self-made-man du Bronx devenu roi de la mode outre-Atlantique (et son meilleur ambassadeur dans le monde entier). Une hausse du chiffre d’affaires de 11 % pour le dernier trimestre 2024, lequel atteint 2 milliards de dollars sur la période, et une croissance sur tous les marchés dans un contexte tendu pour le luxe, voilà de quoi donner le sourire. « Nous avons effectivement des raisons de nous réjouir, s’enthousiasme Patrice Louvet, le PDG de la marque. Surtout, tous les secteurs de notre activité sont concernés par cette embellie, ce qui est particulièrement encourageant. Aujourd’hui, beaucoup de nos concurrents traversent un moment d’instabilité, de changements créatifs ou de stratégie. Nous restons fidèles à ce que nous sommes, à la vision de Ralph et à nos valeurs. »

Ce jeudi, dans la Jack Shainman Gallery, ancienne salle de banque située au premier étage du Clock Tower Building, un bâtiment construit en plein cœur de Tribeca à la fin du XIXe, la petite centaine d’invités du défilé Collection (la ligne féminine la plus luxueuse) assiste à une véritable plongée dans ces valeurs et la Big Apple de « Ralph » . Parmi eux, des fidèles de toujours, tout le gratin new-yorkais (dont Graydon Carter, le rédacteur en chef historique du Vanity Fair américain, qui vient de publier ses mémoires que toute la ville s’arrache). Mais aussi des actrices du moment, comme Michelle Williams, Anne Hathaway, Naomi Watts et la nouvelle star Sarah Catherine Hook, qui crève l’écran dans la dernière saison de The White Lotus. Pourquoi défiler ici ? Pourquoi maintenant, en dehors de tout calendrier de Fashion Week ? « C’est la vision de Ralph, nous répond Patrice Louvet. Il conçoit ses défilés comme des films, imagine une histoire avant de créer le produit. Nous aimons associer nos présentations à des lieux qui signifient quelque chose pour nous. Le défilé dans les Hamptons, en septembre, rendait hommage à la longue histoire de Ralph avec la région. Nous voilà de retour à New York, car Ralph Lauren, c’est New York ! » Difficile de lui donner tort.

Ralph Lauren Photo: Isidore Montag / Gorunway.com

Le film de cette saison, donc, met en scène une New-Yorkaise bien dans ses bottes cavalières, qui associe les éléments typiquement « RL » : de sublimes blousons pilote et blazers en cuir noir ou marron patiné par le temps, de légères robes bohèmes, des power suits et autres manteaux camel à l’esprit Wall Street, des sacs de dame qu’elle balade du bout des doigts. Le tout avec une allure tantôt dandy (les chemises à jabot), tantôt utilitaire (les combinaisons intégrales, les bas de pantalon boutonnés), tantôt eighties, à l’instar de ces manteaux de (fausse) fourrure et en shearling franchement à tomber. Pour le soir, des smokings en velours violet aux robes de sequins noirs, tout est chic et sans tapage, bourgeois, « tradi » mais moderne, du pur Lauren. Tout, ici, respire le « vrai » vêtement, le style plutôt que la mode. Tout est storytelling, aussi, car si les modèles descendent un escalier, c’est, nous glisse-t-on sur le ton de la confidence, parce que les escaliers fascinent M. Lauren, qui à ses débuts tenait ses réunions assis sur les marches de ses premiers bureaux. Bref, l’incarnation d’une Amérique rêvée, certes, mais qui fait (vraiment) envie. « Notre force est aussi de ne pas chasser les tendances, souligne Patrice Louvet. Combien de marques se sont cassé les dents en ayant du succès pendant trois ou cinq ans avant que le consommateur passe à autre chose ? Nous avons des valeurs que nous continuons d’affirmer année après année. Elles sont les mêmes depuis la création de l’entreprise et découlent de la vision de Ralph. Nous défendons l’authenticité, la qualité, la famille, l’amour… Des idées américaines, certes, mais finalement universelles ! »

Ralph Lauren Photo: Isidore Montag / Gorunway.com

La force de Ralph Lauren, c’est surtout d’avoir réussi à construire un empire de cette vision, de ses fameuses « valeurs ». Sa marque est sans doute la seule, aujourd’hui, où chacun peut trouver son compte, de la working girl du Financial District à l’aspirant cow-boy du bitume parisien, en passant par la jeune fan du pull orné d’un ours en peluche qui cartonne auprès des ados. Une force à l’heure où la firme américaine, qui produit et vend partout dans le monde, est l’exemple même de celles visées par Trump et ses taxes douanières. « Ralph et moi parlons beaucoup de la situation économique actuelle, reconnaît Patrice Louvet. L’entreprise existe depuis cinquante-huit ans et a traversé différents contextes géopolitiques, pas toujours des plus faciles. Avec le temps, nous avons démontré notre résilience. La diversification et l’agilité sont essentielles pour traverser ce genre de période. Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, en l’occurrence sur le même marché - nous vendons partout dans le monde et avons une chaîne d’approvisionnement internationale, nous fabriquons en Asie, en Europe, en Amérique du Sud et du Nord. Notre approche est de nous concentrer sur les choses que nous pouvons contrôler : nos relations avec nos clients. Comprendre ce qui les excite, ce qui leur plaît. Si l’on fait ça correctement, nous devrions rester compétitifs. » En attendant, Ralph Lauren, 85 ans, récolte une standing ovation bien méritée lorsqu’il sort saluer. Son rêve américain n’est pas près de s’arrêter…

Le final du défilé Ralph Lauren Ben Rosser/BFA.com