Pétition citoyenne, propositions de loi... Les ZFE peuvent-elles être abolies par les parlementaires ?
Les députés viendront-ils au secours des automobilistes mécontents ? Depuis janvier 2025, date à laquelle les zones à faibles émissions (ZFE) ont été généralisées à toutes les agglomérations françaises comptant plus de 150.000 habitants (soit 42 métropoles), trois pétitions ont été publiées sur le site dédié de l’Assemblée nationale et une sur celui du Sénat. La plus populaire d’entre elles est portée par l’association 40 millions d’automobilistes et compte au 25 mars 25.600 signatures. Dans le même temps, les députés du Rassemblement national s’activent, proposant une loi (PPL) le 4 février dernier, visant à supprimer ces ZFE. Une autre PPL du 18 février portée par la droite républicaine et quelques autres députés du bloc central, souhaite instituer «un moratoire de cinq années pour l’entrée en application des zones à faibles émissions». Dans une tribune publiée le 23 mars par Le Journal du Dimanche, Laurent Wauquiez, président du groupe La Droite républicaine, a annoncé son intention de déposer une proposition visant à suspendre «immédiatement» les ZFE. Le Sénat n’est pas en reste et vient de proposer au 12 mars de «supprimer l’obligation de création des Zones à Faibles Émissions», par la voix de la majorité sénatoriale.
Des pétitions peu contraignantes
En ce qui concerne les pétitions, «c’est cause toujours, tu m’intéresses», résume Bertrand-Léo Combrade, constitutionnaliste, rédacteur en chef de la rubrique droit constitutionnel des Surligneurs. Autrement dit, même si une de ces pétitions atteignait «500.000 signatures issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer» - seuil fixé par l’Assemblée nationale pour programmer un débat entre tous les députés - son organisation n’est absolument pas obligatoire. Et surtout, un débat n’engage à aucune suite dans la loi.
Du côté des trois propositions de loi à la table des deux assemblées, un exercice de politique-fiction s’impose. D’abord, il faudrait que ces PPL soient adoptées par les députés et sénateurs, ce qui n’a pas été le cas en janvier 2023 où une première PPL «visant à supprimer les zones à faibles émissions mobilité», avait été rejetée par les députés. Pour supprimer les ZFE, il faudrait que la moitié des députés du bloc central (Horizons, Modem, Ensemble) s’ajoute aux voix du RN, de ses alliés et de la droite républicaine. C’est loin d’être gagné. Au Sénat faire adopter un texte est plus simple, avec une majorité sénatoriale solide (Groupes Les Républicains, Union Centriste et Les Indépendants - République et Territoires). Imaginons que le texte soit adopté, «il est alors probable que 60 députés ou 60 sénateurs saisissent le Conseil constitutionnel », prévient Bertrand-Léo Combrade.
Que déciderait le Conseil constitutionnel ?
À ce moment, c’est un processus technique qui prendrait le relais. L’instauration des zones à faibles émissions en France s’inscrit dans un cadre législatif visant à améliorer la qualité de l’air, conformément aux exigences européennes. Dans le détail, une directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 (2008/50/CE) impose aux États membres de prendre des mesures pour ne pas dépasser des valeurs limites de pollution de l’air dans les agglomérations. La France a alors répondu à cette directive avec la loi Climat et Résilience de 2021, qui instaure les ZFE «pour lutter contre la pollution atmosphérique».
Dans un cas de figure où les députés voudraient abroger une loi mise en place en réponse à une directive européenne, les constitutionnalistes ont fondé une doctrine. «Nous distinguons deux catégories de directives européennes», explique le professeur Combrade. «Les premières fixent simplement un objectif à atteindre tout en laissant aux États membres une liberté quant aux moyens d’y parvenir. Quand d’autres fixent aussi un objectif, mais celui-ci est tellement précis et inconditionnel qu’il dicte en réalité les moyens». Concrètement, le Conseil Constitutionnel, devra donc déterminer si cette fameuse directive européenne laisse d’autres moyens que la mise en place d’une ZFE pour lutter contre la pollution de l’air dans les agglomérations.
«Mais le juge constitutionnel a une marge de manœuvre très faible en matière de conformité de la loi au droit européen», prévient Bertrand-Léo Combrade. «Il s’est déclaré incompétent depuis 1975 en la matière», ajoute le constitutionnaliste Benjamin Morel. «Si le Conseil constitutionnel est saisi d’une loi transposant une directive européenne imprécise, il se limitera à un contrôle de constitutionnalité, sans examiner la conformité au droit européen», résume Bertrand-Léo Combrade. Benjamin Morel avance, lui, «qu’en l’état il y a peu de chance qu’une loi d’abrogation des ZFE soit déclarée inconstitutionnelle».
La Cour de Justice de l’Union européenne pourrait être saisie
Nous entrons donc dans un nouvel épisode de cette série de politique-fiction, au moment où l’abrogation des ZFE serait publiée au Journal officiel. La bataille ne serait pas terminée. La commission européenne pourrait considérer que la France ne respecte plus sa directive et saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). «Mais dans une période où l’environnement n’est plus trop à la mode, la commission - pour ne pas trop casser les pieds sur un sujet très clivant - pourrait aussi ne pas saisir la CJUE», anticipe Benjamin Morel.
Deuxième recours juridique possible, un citoyen «ayant intérêt à agir», peut saisir le Conseil d’État pour non-application ou mauvaise application de la directive européenne. «Une question préjudicielle pourrait être posée à la CJUE concernant l’interprétation de la directive, et le Conseil d’État pourrait ensuite décider de condamner l’État pour non-action en matière de réduction de la pollution de l’air», résume Benjamin Morel.
Il reste qu’entre-temps de tout ce contentieux technique, les parlementaires peuvent très bien abolir les Zones à faibles émissions, et voir leur mesure être appliquée. Dans le cas où la CJUE ou le Conseil d’État condamnerait la France, «l’État pourrait très bien dire “on ne respecte pas la directive et on s’en fiche”», conclut Benjamin Morel. Avec à la clé tout de même, des sanctions financières importantes...