TEMOIGNAGES. "On attend ça depuis tellement longtemps" : l'espoir des Syriens de retrouver leurs proches disparus dans les prisons du régime déchu
La Syrie face à l'inconnu sur le plan politique, 48 heures après la fuite de Bachar al-Assad et l’effondrement de son régime. Mais les Syriens, eux, n’en finissent pas de célébrer la fin de cette ère. Plus de 50 ans de dictature, 13 ans de guerre civile et des milliers de prisonniers politiques disparus ou assassinés, notamment dans la tristement célèbre prison de Saydnaya, à 30 kilomètres au nord de la capitale Damas, qui a été ouverte par la rébellion syrienne, dimanche 8 décembre.
Depuis la frontière entre le Liban et la Syrie, jusqu’à cette prison, la route se fait en compagnie d'Houssam, un réfugié syrien au Liban rencontré au poste-frontière. Cela fait quatre ans qu’il n’a pas mis les pieds dans son pays et dix ans qu’il n’a pas vu son père, disparu dans les geôles du régime. Il souhaite aller à Damas.
"J’y vais seulement pour essayer de le trouver... Juste ça : trouver mon père. Ce serait extraordinaire, sinon, je m’en remets à Dieu. Ils l’ont arrêté pendant la parodie d’élection présidentielle, en 2014, et il a disparu."
Houssam, un réfugié syrien au Libanà franceinfo
Une heure de route, déserte, où défilent les carcasses de blindés et les checkpoints abandonnés, avant d'arriver à Damas, libéré du régime de Bachar al-Assad. "Il n’y a pas que moi qui suis ému, tout le monde l'est, assure Houssam. On attend ça depuis tellement longtemps de pouvoir se déplacer librement. J’espère que les beaux jours vont revenir pour que je rentre en Syrie, et y vivre tranquillement. Un nouvel avenir, tout recommencer et que la vie reprenne."
"Aujourd'hui, on a un espoir"
Dans une des mosquées de Damas, des centaines de personnes sont dans la salle de prières à la recherche de leurs proches. "Ici, il n’y a pas de prisonniers, juste des listes parce qu’il y a encore des gens qui sont enfermés dans les prisons, des disparus… explique Houssam. Donc ici, on inscrit son nom et celui de la personne recherchée et un téléphone. Comme ça, si on la trouve, on peut être contacté.
Autour d’Houssam, ils sont des milliers à la recherche d’un proche, comme cette femme juste à côté de lui, avec la photo de son frère sur son téléphone. "On ne sait toujours rien de lui, il a disparu en 2015, alors qu’il voyageait dans le pays, dit-elle. D’abord on a su où il était, donc on a demandé aux autorités. On nous a dit : 'on ne sait pas !', puis on nous a dit : 'il a été arrêté' et à la fin, on nous a dit : 'il est mort. Mais aujourd’hui, on a un espoir.'
La prison de Saydnaya, "c'est le symbole du régime Al Assad"
L’espoir de retrouver un proche disparu est partagé par de nombreux Syriens, tant les exactions du régime ont été importantes. Et c’est la raison pour laquelle ils étaient des milliers lundi à prendre la direction de la prison de Saydnaya, au nord de Damas. Il y avait des kilomètres d’embouteillages jusqu’à ce symbole de la dictature Al Assad. Pendant que dans le ciel syrien, des avions de chasses israéliens frappaient au loin des dépôts d’armes du régime déchu.
L’après-midi avançant, le couvre-feu approchant, Houssam s'est fondu dans la foule qui continuait de fouiller toute la prison. Sur place, des bulldozers sont arrivés pour continuer les recherches sous le regard d’un chef de la rébellion encadré d’une dizaine d’hommes armés. "La prison de Seydnaya, c’est un abattoir humain, assure cet homme. C’est un enfer dans lequel on se perd C’est un symbole, tant de gens ont disparu ici, torturés, opprimés, assassinés… La libération de cette prison, c’est la libération de toute la Syrie car cette prison, c’est le symbole du régime al-Assad." Entre 2011 et 2018, près de 30 000 prisonniers politiques y sont morts, selon Amnetsy International.