Notre critique de Rhinocéros au Théâtre Silvia Monfort : l’art de prendre l’actualité par les cornes

Sur la scène du Théâtre Silvia Monfort, les acteurs bougent à tour de rôle avec des gestes saccadés et répétitifs, tels des humanoïdes. À moins qu’ils ne soient des marionnettes, art chéri par la metteuse en scène et directrice du Centre dramatique national de Tours, Bérangère Vantusso, qui a travaillé avec Nicolas Doutey, auteur de cette adaptation de Rhinocéros. Avant même que la salle soit plongée dans le noir, le ton est donné. Écrite il y a un peu plus de soixante ans, la pièce d’Eugène Ionesco affiche sa modernité sans qu’un seul mot ait été prononcé.

Toujours au programme des lycées - beaucoup d’adolescents dans la salle ce soir-là -, ce théâtre de l’absurde illustre à merveille notre monde malade d’aujourd’hui. Chacun connaît l’histoire. Dans une ville tranquille de province surgissent des rhinocéros, provoquant une épidémie de « rhinocérite ». Tous les habitants sont touchés petit à petit. Là où Ionesco dénonçait la montée des totalitarismes avant la Seconde Guerre mondiale, Bérangère Vantusso représente « la fragilité de la société et plus encore de l’humain au cœur de celle-ci ».

La peur de l’autre

Son dispositif scénique intrigue. Un mur de cubes blancs, tout en reliefs. En dehors de deux portants à cour et à jardin vers lesquels les acteurs marchent sur le rythme d’une musique techno pour y décrocher des vêtements, le décor se résume à ces cubes de céramique tous de taille égale. Une sorte de marionnette selon Bérangère Vantusso, que les personnages transforment puisqu’ils utilisent des éléments au fil du récit. Les cubes deviennent ainsi chat, verre de pastis, lit, porte… Et sont fracassés pour dépeindre la mort du chat, la fureur, l’angoisse des habitants face aux rhinocéros de plus en plus nombreux. Le mur sert ensuite à séparer ceux qui se transforment en pachydermes et ceux qui résistent.

Dans une époque où la peur de l’autre occupe l’actualité jour après jour, où les nationalismes amènent de plus en plus de pays à se replier sur eux, l’idée du mur apparaît très appropriée. D’autant qu’il ne se contente pas de cloisonner les personnages. Troué par les rhinocéros, dont la présence se manifeste par des explosions suivies de nuages de fumées, il avance, réduit l’espace et finit par l’effacer. La communication entre les « rhinocérités » et les autres devient alors impossible. Libérée de faits historiques, Rhinocéros questionne ici les relations humaines et surtout la façon dont les idéologies se propagent. C’était hier. Et c’est aujourd’hui.


Rhinocéros, au Théâtre Silvia Monfort (Paris 15e), jusqu’au 14 décembre. En tournée en 2025.