Notre critique de Par les villages au centre Pompidou: Peter Handke revisité et électrisé
Après avoir franchi les portiques de sécurité du Centre Pompidou, nous ne nous attendions pas vraiment à ce qu’une responsable - une attachée de presse - nous demande de ne pas descendre tout de suite dans la salle de spectacle sise au sous-sol mais de rester à l’affût dans le forum qui deviendra, le temps de la première partie de Par les villages, un espace de jeu improvisé. Un public amassé arpente alors le hall puis entend une voix. Est-ce celle de Nova ? Oui. Nova (interprétée par la rappeuse Casey) est cette femme, sorte de Sybille, qui guide Gregor de retour au village. Le village dans la pièce de Peter Handke est devenu dans la mise en scène de Sébastien Kheroufi, une cité.
Si le texte (excellemment traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt) n’a pas bougé d’un iota, la géographie, elle, a changé de visage. Les protagonistes autrichiens de la pièce de Handke sont ici devenus des enfants d’immigrés. Puis nous écoutons, toujours ans le hall, le monologue de Gregor. Le comédien (Reda Kateb), manteau noir, petite lunette et petite moustache, déclame parmi la foule son texte qui résonne dans le hall sous le regard étonné des badauds.
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Le verbe est grandiose, il est celui d’un aède. Il y a des années, Gregor a quitté sa banlieue, ses parents, son frère cadet Hans (Amine Adjina) et sa sœur Sophie (Hayet Darwich) pour la ville où il est devenu écrivain et toute la respectabilité blafarde qui va avec. Il revient aujourd’hui sur le lieu de son enfance pour régler une histoire d’héritage, bien d’autres choses encore.
Forge patricienne
À la fin du monologue de Gregor, le public suit le comédien dans la salle de spectacle au rythme d’un air de rap. Là, sur la grande scène, un baraquement de chantier. À l’intérieur du baraquement, une femme (l’intendante des lieux jouée par Gwenaëlle Martin) regarde la télévision. On ne l’aime plus trop par ici, Gregor. Il semble ne plus être chez lui dans ce lieu qui fut le sien. Voilà Hans. Il est resté ouvrier et sa langue, puissante, intense, semble sortir d’une forge patricienne. Il lui demande de renoncer à sa part d’héritage, la maison familiale pour que Sophie, vendeuse, puisse y ouvrir son propre magasin. Sophie fut amoureuse de son frère Gregor. Désormais, elle a des mots terribles à lui dire : « Tu es animé par un faux-semblant de bonne volonté. »
Cette suite de monologues, alors que la scène s’enveloppe de nuit, a quelque chose de fascinant. Elle vous tourne la tête et la mise en scène ou plutôt la mise en abîme de Sébastien Kheroufi a quelque chose d’hypnotique et trouvera son paroxysme dans le discours final de Nova (discours malheureusement enseveli sous une musique aux basses assourdissantes). Hypnotique aussi, le monologue de la vieille femme, admirablement incarnée par Anne Alvaro. La voix grave de l’actrice est une musique en soi. À son propos apocalyptique répond le discours enflammé de Nova : « Laissez s’épanouir les couleurs. Suivez ce poème dramatique. Allez éternellement à la rencontre. Passez par les villages. » Un enfant, une tirelire à la main, sait que tout n’est pas perdu.
« Par les villages », au Centre Pompidou (Paris 4e), jusqu’au 22 décembre. Au Théâtre des Quartiers d’Ivry (94), du 22 au 26 janvier 2025.