Noam Morgensztern, un cadeau sous le Scapin à la Comédie-Française

Revoilà Scapin sur la scène Richelieu. Il surgit toujours du dessous par une trappe, tel un diable qui sort de sa boîte ou qui remonte des enfers. Ou tel un comédien échappé de la machinerie théâtrale. Dès sa première apparition, la mise en scène de Denis Podalydès fait de Scapin une métaphore de l’acteur, à la fois démiurge et valet, Don Juan et Sganarelle. Il est nu comme un ver avant d’enfiler un costume, comme un acteur qui s’apprête à jouer.

Depuis la saison dernière, ce ne sont plus les fesses de Benjamin Lavernhe que les spectateurs découvrent, mais celles de Noam Morgensztern. L’acteur d’En fanfare a créé le rôle en 2017 et l’a joué jusqu’à Pékin (en caleçon - le Parti communiste chinois est prude) avant de passer le relais à son camarade. Morgensztern, pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2013, n’est pas un inconnu pour les habitués du Français. On l’a vu dans Le Songe d’une nuit d’été, La Nuit des rois, Fanny et Alexandre, Le Roi Lear ou encore dans Les Serge (Gainsbourg point barre). On le savait drôle, mais pas à ce point.

Passer la publicité

Un rire libérateur

Avec Scapin, sa vis comica fait des étincelles. Un faux air de Benoît Poelvoorde, un abattage à la Louis de Funès. La farce de Molière fait le reste. La mise en scène de Podalydès n’a pas bougé d’un pouce. Le décor d’Éric Ruf représente toujours le port de Naples et le sac dans lequel se cache Géronte continue d’être suspendu à une poulie. On dirait un punching-ball qui invite les spectateurs à se défouler. Les Fourberies de Scapin date de 1671 - la pièce n’est alors jouée que dix-huit fois et sans grand succès. Molière meurt deux ans plus tard. C’est une œuvre testamentaire et non une œuvre de jeunesse. À la création, Molière jouait Scapin. Il s’est écrit la scène du sac pour lui. Il se soulage de tout ce qu’il a pu subir : les caprices du roi, les affronts de ses ennemis, marquis et autres courtisans. Molière se venge des puissants. La salle rit aux éclats. Un rire libérateur, cathartique.

À chaque représentation, Scapin fait monter sur scène un spectateur pour participer à la bastonnade. Ce soir-là, une adolescente s’en donne à cœur joie, punissant Géronte, père tyrannique et colérique, boomeer sans cœur. La scène est culte mais celles qui la précédent ne sont pas moins des morceaux de bravoure. Scapin déleste de leurs pistoles et écus Argante et Géronte, deux darons pas moins avares qu’Harpagon, mais sans doute plus crédules (« Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? »). Il le fait sans arme ni violence, en valet rusé et comédien apte à jouer tous les rôles. Sans jamais exiger de récompense.

Dans la scène finale, Scapin prétend être blessé à la tête et mourant pour obtenir le pardon d’Argante et Géronte. Dans la tradition, il enlève son pansement une fois le pardon obtenu. Pas ici. La douleur n’est peut-être pas feinte. Elle laisse entendre que la vengeance des maîtres a pu être rapide et violente. Elle rappelle celle de Cyrano de Bergerac, autre mystificateur de génie que Denis Podalydès a créé sur cette même scène.

Les Fourberies de Scapin, à la Comédie-Française (Paris 1er), jusqu’au 15 janvier 2026.