« Il faut aller plus loin avec la tolérance zéro » : les propositions de Yannick Alléno pour la sécurité routière

Le 8 mai 2022, Antoine Alléno, fils du chef étoilé Yannick Alléno, a été tué à Paris par Franky Deplechin, un chauffard sous l’emprise de l’alcool, au volant d’une voiture volée. Après deux ans de mobilisation et plus de 6000 articles de presse sur le sujet, la loi sur l’homicide routier (que la famille Alléno appelait de ses vœux) vient d’être votée en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Mi-mars, le chef étoilé s’inquiétait dans Le Figaro de l’absence de ce texte à l’agenda parlementaire et demandait à Gérald Darmanin une date d’examen précise. Quelques mois plus tard, nous avons souhaité connaître les intentions du chef étoilé et de son association pour poursuivre ce combat contre la violence routière.

LE FIGARO. - La loi sur l’homicide routier que vous réclamiez vient d’être votée en deuxième lecture par l’Assemblée. Avant le vote du Sénat, que représente cette avancée et surtout quelle sera la suite ?

Yannick ALLÉNO. - Cette loi constitue le cadre législatif indispensable, le point de départ important que les familles attendaient depuis longtemps. Nous avions besoin de la création de ce nouveau délit pour commencer à faire des campagnes de prévention efficaces. Elle va montrer l’exemple au niveau de l’Europe - la Belgique s’en inspire déjà.

Mais maintenant, il faut aller beaucoup plus loin avec la tolérance zéro. Mon futur combat, c’est zéro alcool au volant ! Le 0,5 gramme, c’est foireux. Et il faut des sanctions immédiates : saisie définitive de la voiture dès le premier délit routier (la saisie définitive (confiscation) du véhicule est une sanction pénale qui peut être déjà prononcée par le juge, NDLR). Je vous garantis que le premier qui se fait saisir sa voiture, celle qu’il paie avec son crédit et son travail - le fait pour les autres de savoir qu’il ne la retrouvera jamais, permettra de changer les comportements. Plutôt que de prendre sa voiture après avoir fait la fête, il choisira un VTC ou un taxi.

Vous dénoncez aussi ce que j’appellerais de la «violence administrative». De quoi s’agit-il ?

Quand Antoine est mort, on s’est retrouvé face à des choses inhumaines. Les dysfonctionnements sont partout : vous perdez votre enfant et vous recevez la facture de l’ambulance, puis une note disant que votre enfant a travaillé l’année dernière et doit encore des impôts à l’État. Si vous n’avez pas les moyens de payer, votre seule solution est de refuser l’héritage : et là on vous dit que le tee-shirt, le doudou de votre enfant, toutes ses affaires où il y a encore son odeur, ne vous appartiennent plus.

Le manque d’humanité dans la prise en charge des familles est révoltant : aucun support psychologique, même pas une bouteille d’eau à l’hôpital. Vous sortez de l’ambulance, puis vous recevez la facture des urgences... Et puis les délais d’enquête sont beaucoup trop longs : des mois au frigo (dans la morgue, NDLR) alors qu’on pourrait raccourcir les délais avec des examens rapides (à l’aide d’un Scan et d’un logiciel par exemple). L’assurance ne se déclenche pas tant que l’instruction judiciaire n’est pas finie. Comment enterrer son enfant dans ces conditions ? Il faut remettre de l’humanité dans la mort, arrêter cette violence qui s’ajoute au drame.

Vous étiez présent au salon VivaTech dans le cadre du projet Impact de votre association qui vise à innover pour développer des solutions de sécurité routière. Selon vous, comment la technologie peut-elle révolutionner la prévention routière ? 

J’ai la conviction que les nouvelles technologies peuvent amener à des évolutions notables pour le bien commun. À VivaTech, nous avons eu une résonance exceptionnelle avec notre stand de 250 m².

Avec Impact, nous avons retenu 70 dossiers d’innovations remarquables, sur plus de 120 candidatures venant de 42 pays. Un exemple : ce système embarqué capable, lorsqu’un danger est détecté, d’émettre des vibrations dans le siège ou le volant pour alerter le conducteur, tandis qu’une alerte sonore et lumineuse est simultanément déclenchée à destination du piéton.

Le président Emmanuel Macron est venu visiter notre stand et m’a dit droit dans les yeux qu’on «avait assez perdu de temps». Et il a raison. Nous avons perdu environ 3000 personnes l’année dernière sur les routes, dont un tiers sont des jeunes de moins de 34 ans, 1,2 million de personnes sont touchées dans le monde. Quand on parle de VivaTech, il y a «vie» dans le nom. C’est exactement notre combat : utiliser la technologie pour sauver des vies.

Vous misez aussi beaucoup sur l’art et la culture pour changer les mentalités...

Oui, l’art et la musique peuvent donner aux gamins une conscience différente. Nous avons créé le spectacle «Fragile», une expérience immersive et vivante conçue spécialement pour sensibiliser les jeunes aux dangers de la route, il est désormais disponible en vidéo.

Nous préparons un événement exceptionnel le 13 septembre : quelques milliers de portraits de jeunes victimes seront apposés sur le pont d’Iéna par l’artiste JR, au pied de la Tour Eiffel. Ces milliers de visages permettront de se rappeler d’Antoine et de tous les autres. Il faut déconstruire cette idée que «ça n’arrive qu’aux autres». La disparition d’Antoine a créé un blast social et tout le monde doit se dire «ça pourrait être le mien». À la fin du week-end, les photos de tous les visages disparaîtront. C’est un moment que nous avons voulu très fort : voir ces portraits de nos enfants se dissoudre sous la pression de l’eau, exactement comme ils ont disparu de nos vies à cause de la violence routière. Les pompiers, qui ramassent les corps sur les routes, comprendront aussi mieux que quiconque le sens de ce geste. Voilà, c’est une nouvelle façon de faire de la prévention par l’art.