«Des montants faramineux» : deux frères grossistes de la drogue à la tête d’un empire prospère à Marseille

Najib G. a la bosse du commerce. Titulaire d’un bac +4 en gestion d’entreprise délivré par une école de commerce, il est aujourd’hui comptable pour un grand concessionnaire français. «Vous semblez à l’aise avec les chiffres», note Vincent Trouve-Buisson, le président de la septième chambre du tribunal correctionnel de Marseille. «J’aime les calculs», reconnaît l’accusé.

Dans les écoutes réalisées par les enquêteurs, cette appétence pour le commerce se vérifie. Lors d’une conversation avec son frère Rachid, le 27 mai 2020, Najib G. se réjouit d’acheter sa marchandise «39» et de la revendre «42». À la barre du tribunal, face à une question du président qui tente de comprendre les choses, Najib G. se veut précis. «L’intéressement se fait sur le bénéfice, pas sur le chiffre d’affaires. Sur une journée à 5000 euros, il y a 500 euros de paie et 4000 d’achats de produits. Il reste donc 500 euros.»

Mais la marchandise dont parlent les deux frères n’est autre que de la cocaïne et du cannabis. Entre 2018 et 2020, y compris en plein confinement, les deux frères sont accusés d’avoir approvisionné et dirigé deux points très lucratifs de vente de stupéfiants dans deux cités du 15e arrondissement de Marseille, l’une au Plan d’Aou et l’autre à Kalliste. Ces deux points généraient à eux deux jusqu’à 8000 euros de chiffres d’affaires par jour. 

Dizaines de kilos d’herbe

Les deux frères sont accusés d’avoir travaillé pour le compte d’un patron, surnommé «le Relais», également prévenu dans ce dossier et proche selon les enquêteurs d’un gros bonnet du narcotrafic local, Pascal Gomez Galeote. Dans cette «organisation mafieuse» selon l’accusation, chacun avait un rôle très précis, de la nourrice au gérant de terrain, en passant par le rabatteur, et même le community manager pour gérer la publicité sur les réseaux sociaux. Le réseau très hiérarchisé prévoit également des bonus à certains de ces employés en cas d’atteinte des objectifs financiers.

Une petite entreprise qui ne connaissait pas la crise, jusqu’à la découverte de 31,4 kilos de cannabis dans d’une résidence marseillaise par la police judiciaire de Marseille, le 13 décembre 2018. Informés par un huissier de justice, les enquêteurs cherchent à remonter le fil de ce réseau qui semble brasser beaucoup de quantités et beaucoup d’argent.

Au fur et à mesure de leurs investigations, ils découvrent qu’outre leur mainmise sur les deux réseaux du 15e arrondissement, les frères G. sont selon eux de véritables grossistes du trafic de stupéfiants, alimentant plusieurs réseaux de la cité dans des quantités astronomiques. «De manière régulière, ils vendaient ainsi plusieurs kilos, voire dizaines de kilos d’herbe, de résine de cannabis et de cocaïne à d’autres trafiquants de stupéfiants», peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi.

«Semi-gros»

Selon les enquêteurs, le 22 avril 2020, en plein confinement, un homme aujourd’hui prévenu dans le dossier vend aux deux frères pas moins de 12 kilos de résine de cannabis sur le parking d’une résidence, moyennant le paiement en espèce de 49.200 euros. «Cent euros par kilo, c’est le forfait classique dans le semi-gros ?», s’enquiert le président, enquête à l’appui. «Non, chacun fait ce qu’il veut, répond Najib G., tout dépend où vous êtes dans le maillon de la chaîne. Nous étions à la fin et il y avait déjà plusieurs personnes qui avaient fait leurs bénéfices.»

La drogue était acheminée par des fournisseurs dans plusieurs endroits de la France, après avoir été présentée par vidéo via notamment des messageries cryptées. Selon les enquêteurs, les trafiquants étaient prêts à faire des kilomètres, malgré les restrictions sanitaires, pour pouvoir s’approvisionner. «Il y avait une pénurie en produits stupéfiants, se rappelle Najib G., il fallait en chercher partout. D’ailleurs, on était obligé de fermer plus tôt car on n’avait pas assez de stupéfiants».

Ce business était si florissant qu’une nourrice avait été spécialement recrutée pour stocker les innombrables billets générés par le trafic. Ainsi dans une écoute, Najib G. relève la nécessité de faire l’acquisition d’une compteuse à billets. «Il y a des montants qui sont vraiment faramineux dans cette procédure», s’étrangle Vincent Trouve-Buisson. Des commerces avaient également été ouverts dans l’optique de blanchir une partie de l’argent selon l’accusation. Dans l’entreprise des frères G, à en croire Najib qui ne reconnaît que quelques transactions à la barre, la répartition des bénéfices était claire : la moitié pour Rachid, et l’autre moitié à se partager entre lui et un autre acteur de ce dossier.

La preuve selon la défense d’une emprise de Rachid sur son petit frère, qui réfute être l’associé et le coauteur des faits dans ce dossier. «S’il n’y avait pas mon frère, je n’aurais jamais participé à un trafic de stupéfiants», affirme à la barre Najib G. en se triturant les mains. «J’étais le sbire de mon frère. Quand il me demandait, j’exécutais. Il me criait dessus. Je ne suis que son subordonné.» Au total dans ce dossier, 18 prévenus sont appelés à comparaître à la barre jusqu’au 29 novembre prochain, dont neuf récidivistes, à l’image des frères G. Mais, «le Relais», tête de réseau supposé, et Rachid G. manquent à l’appel. Tous deux sont en cavale.