Le Rassemblement national (RN) a-t-il financé ses campagnes législatives et présidentielle de 2022 et européennes de 2024 de manière illégale ? Mercredi 9 juillet, le siège parisien du parti nationaliste, des entreprises et les domiciles de leurs dirigeants ont été perquisitionnés dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en juillet 2024 pour escroquerie commise au préjudice d’une personne publique. Les investigations doivent déterminer si les campagnes sus-citées ont été «notamment financées grâce à des prêts illégaux de particuliers bénéficiant au parti ou à des candidats», a précisé le parquet. À ce jour, aucune personne physique ou morale n’est mise en examen dans cette procédure.
Ce jeudi, Le Monde révèle qu’une autre enquête est en cours à Marseille (Bouches-du-Rhône) concernant les élections municipales de 2020 et régionales de 2021. Les faits portent sur des prêts s’élevant à 1,8 million d’euros. Dans le cadre de cette investigation, le milliardaire conservateur Pierre-Édouard Sterin a été entendu en juin 2024 «sous le régime de suspect libre» par la direction nationale de la police judiciaire à Nanterre (Hauts-de-Seine). Une information confirmée par le parquet de Marseille. Le Rassemblement national, de son côté dénonce un «flou» juridique et un «acharnement» du «système» à son encontre. Mais que dit la loi ?
Passer la publicité«Habituel»
Tout d’abord, les prêts des particuliers aux partis politiques sont une pratique autorisée dans un cadre précis par les lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Selon l’article L52-7-1 du Code électoral, «les personnes physiques peuvent consentir des prêts à un candidat dès lors que ces prêts ne sont pas effectués à titre habituel» au risque de devenir des dons déguisés, selon les règles de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - régis par d’autres lois, les dons sont, eux, soumis à un plafond de 7500 euros par an et par personne. De même, la loi dispose que «la durée de ces prêts ne peut excéder cinq ans».
Concernant le RN, la CNCCFP a notamment dans son viseur «23 personnes physiques» ayant prêté des sommes «sur au moins deux exercices différents et pour un montant supérieur à 100.000 euros» entre 2020 et 2023. Selon l’AFP, un prêt personnel est caractérisé comme étant habituel dès qu’un particulier prête au moins deux fois à un parti pour un montant total supérieur ou égal à 100.000 euros. La CNCCFP précise de son côté qu’elle saisit le parquet «dès lors qu’un même prêteur a consenti au moins cinq prêts, répartis sur une ou plusieurs élections, d’un montant total égal ou supérieur à 75.000 euros». Pour autant, ces dispositions n’apparaissent dans aucun texte de loi.
«A priori, “habituel” implique qu’il ne peut pas y avoir de prêts cumulatifs. En revanche, le Code électoral reste imprécis à ce sujet et c’est tout le problème dans le cas précis du Rassemblement national. Ça ouvre la voie à des interprétations qui peuvent être floues et divergentes», remarque auprès du Figaro Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas.
Sanctions pénales et comptes rejetés
Toujours conformément à la loi de septembre 2017, si un particulier accorde un prêt à un taux inférieur au taux légal, la durée descend à 18 mois maximum. «En outre, le montant total du prêt ne peut pas être supérieur au plafond de remboursement forfaitaire des dépenses électorales», précise le site vie-publique.fr.
La loi dispose enfin que le prêteur doit avoir l’intention de récupérer les sommes prêtées. De même, le bénéficiaire doit s’engager à honorer l’échéance établie. Autrement, le prêt peut être requalifié en don, exposant ainsi le parti ou le candidat à des sanctions si le plafond des dons est dépassé ou si le donateur n’est pas éligible. Les bénéficiaires se rendent alors passibles de sanctions pénales. Et leurs comptes de campagne peuvent être rejetés par la CNCCFP.
Passer la publicité20 millions d’euros d’encours à rembourser par le RN fin 2023
Selon la Commission nationale des comptes de campagne, le Rassemblement national est le parti français ayant le plus recours à l’emprunt personnel, en raison du refus traditionnel des banques françaises de lui prêter de l’argent. Au total, le parti affichait fin 2023 plus de 20 millions d’encours à rembourser «auprès de personnes physiques», le plus ancien emprunt remontant à 2007, selon la CNCCFP.
Pour la seule campagne européenne de 2024, le RN s’est appuyé à plus de 87% sur quelque 225 particuliers, qui lui ont avancé près de 4,5 millions d’euros - dont une trentaine de prêts d’au moins 50.000 euros, selon la commission. Les années précédentes également, le parti à la flamme a «concentré une forte majorité» de ce type d’emprunts : 613 en 2021 sur un total de 764 tous partis confondus, puis 425 en 2022 (sur un total de 492) et encore 96 en 2023 (sur un total de 123).
Au total, tous partis politiques confondus, les emprunts auprès de personnes physiques ont représenté une manne chiffrée à huit millions d’euros en 2021, plus de 10 millions en 2022 et encore quatre millions en 2023, selon le rapport annuel de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).