Présidentielle russe : Ekaterina Duntsova, la candidate «humaniste» face à Poutine, écartée de la présidentielle
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«Vous êtes une jeune femme, vous avez la vie devant vous.» Samedi 23 décembre, la présidente de la Commission électorale russe a annoncé que la candidature à la présidentielle de mars 2024 d’Ekaterina Duntsova avait été écartée «à l’unanimité». Ella Pamfilova a invoqué des «erreurs dans des documents» nécessaires à l’enregistrement de la candidate.
La journaliste et ex-élue municipale avait déposé ses documents de candidature auprès de la commission électorale le 20 décembre, et devait encore finir de rassembler les 300.000 signatures d'électeurs requises dans toute la Russie, d’ici la date butoir du 31 janvier. Elle avait annoncé avoir déjà obtenu plus de 135.000 signatures sur son site web duntsova2024.ru. Devant la presse, Ekaterina Dountsova a rapidement déploré une décision «triste» concernant «une initiative populaire». Sur Telegram, elle a annoncé son intention de faire appel «demain» devant la Cour suprême russe. «Ce n'est pas fini», a-t-elle assuré.
«Rendre le processus décisionnel au peuple»
Ekaterina Duntsova, 40 ans, est originaire de la région de Tver au nord-ouest de Moscou. L’ancienne journaliste, nommée en 2003 correspondante pour la chaîne de télévision TK Rzhev, passe ensuite par la chaîne indépendante RiT. Convaincue de pouvoir «rendre le processus décisionnel au peuple», elle se présente aux élections de sa ville natale en 2014 dans laquelle elle connaît un échec. Sa seconde participation est en revanche une réussite qui lui permet de porter sa voix en tant que députée à la Douma en 2019. En 2016, cette mère de trois enfants s’engage en tant que bénévole dans l’association «sova», organisme qui soutient la recherche d’enfants et d’adultes disparus en Russie.
Ses expériences à la fois humanitaires et en politique lui ont permis selon elle de constituer une candidature soutenant des valeurs «humanistes» et «de paix» face à Vladimir Poutine. La candidate sans étiquette, ancienne députée de sa ville natale Rzhev, a détaillé sur son site web duntsova2024.ru des éléments de son programme.
Paix, réformes démocratiques et décentralisation du pouvoir
Le cessez-le-feu en Ukraine, coûteux en vies humaines autant qu’en pertes matérielles, est une priorité du programme d’Ekaterina Duntsova. Elle souhaite également favoriser des avancées sur le plan des libertés individuelles. «Les citoyens ne peuvent pas exprimer librement leur opinion si celle-ci ne coïncide pas avec la position des autorités», regrette-t-elle sur son site internet. Dans la même lignée, elle souhaite modifier la gestion budgétaire du pays : «dépenser de l'argent pour améliorer la vie des citoyens, pas pour de nouveaux chars» prévoit-elle. Mais dans le contexte actuel, le budget militaire russe ne fait qu’augmenter d’années en années pour l’effort de guerre. Malgré une allocation de 63 milliards d’euros en 2023, Vladimir Poutine a annoncé une augmentation de 70% du budget militaire de 2024.
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Un autre vaste chantier ne semble pas faire peur à la candidate russe : celui de la répartition des pouvoirs. L’ancienne députée de la Douma souhaite que les gouverneurs d’États soient plus à même de prendre des directives sans la pression du Kremlin. Une main de fer dont la population russe pourrait s’affranchir, selon elle. «Les Russes pensent avoir besoin d'une main de fer. Nous y sommes tellement habitués. Mais ce que je pense, c'est qu'ils peuvent très bien prendre leurs propres décisions» déclarait-elle mercredi lors de la déposition officielle de sa candidature. Interrogée sur LCI, elle évoquait la possibilité «d’élire quelqu’un du peuple sans que quelqu’un de l’administration se tienne derrière elle».
Réagissant sur LCI, Aurélien Duchêne, analyste en relations internationales et défense et spécialiste de la Russie, estime le pourcentage proche du néant de voir sa candidature aboutir - en raison du traitement réservé aux opposants du Kremlin. Toutefois, selon lui, la dénonciation de certaines dérives du pouvoir russe pourrait trouver écho au sein de l’opinion publique.
Mise sous pression par le pouvoir russe
Opposante revendiquée au régime poutinien, Ekaterina Duntsova ne bénéficie pas de la visibilité des médias russes qui n’évoquent même pas sa candidature pour la grande majorité. Pour construire sa popularité, l’ancienne journaliste communique majoritairement sur le réseau social Telegram où elle compte aujourd’hui près de 300.000 abonnés.
La candidate y fait part des évolutions de sa campagne présidentielle ainsi que des rassemblements organisés. Ce jeudi 21 décembre, elle avait annoncé que l’administrateur ayant officiellement enregistré sa candidature avait subi des pressions par le Kremlin. «Bien sûr que j’ai peur» déclarait-elle à la suite de la déposition de sa candidature, bien qu’elle semble déterminée à aller au bout de son projet. Ekaterina Duntsova bénéficie d’ailleurs de nombreux messages de soutiens sur Telegram. L’un de ses abonnés appuie ainsi sa candidature : «Ekaterina Duntsova veut travailler sur l’expression de l’opinion publique dans notre pays. Elle démontre que Poutine a une alternative !».
Cette candidature n’est pas sans rappeler celle d’Alexei Navalny à la dernière élection présidentielle russe en 2018. Connu lui aussi pour sa lutte acharnée contre la corruption en Russie, ainsi que pour sa critique de la verticale du pouvoir poutinienne, le candidat avait rapidement été évincé de la scène politique. Après avoir subi une tentative d’assassinat au Novitchok en 2020, le fervent opposant à Poutine avait été placé en camp de travail, en détention, puis condamné à 19 ans de prison en août 2023. Il est aujourd’hui porté disparu, écroué dans un endroit tenu secret par les autorités russes. Le pouvoir russe a écarté depuis des années toute opposition sérieuse des mandats électifs et de la vie politique, avec une répression qui s'est accélérée depuis que le Kremlin a envoyé son armée en Ukraine en février 2022.
Après de telles condamnations, la question se pose aujourd’hui de savoir ce qu’il adviendrait de l’opposante russe à Vladimir Poutine si celle-ci parvenait à progresser dans les sondages ces prochaines semaines.