Aux Etats-Unis, la question des visas crée des tensions entre Elon Musk et les soutiens de Donald Trump les plus opposés à l'immigration

C'est l'une des premières pommes de discorde au sein des soutiens de Donald Trump. Samedi 28 décembre, le président élu des Etats-Unis, qui avait mené une campagne fermement anti-immigration, s'est dit favorable au maintien de visas destinés aux travailleurs spécialisés, dans une interview au New York Post. A deux semaines de son investiture, cette question a fait apparaître de fortes divergences parmi ses soutiens, entre les plus conservateurs des républicains et des figures plus libérales issues du monde de l'entreprise et de la tech, comme Elon Musk.

Le débat qui agite le camp trumpiste trouve sa source dans l'annonce, le 22 décembre, de la nomination de l'investisseur Sriram Krishnan comme futur conseiller de Donald Trump en charge de l'intelligence artificielle. Plusieurs activistes républicains, comme l'influenceuse conservatrice Laura Loomer, l'ont accusé de vouloir assouplir les conditions d'immigration aux Etats-Unis. Américano-indien, Sriram Krishnan a également été la cible d'attaques racistes sur les réseaux sociaux, conduisant Elon Musk à dénoncer sur X "ceux au sein du Parti républicain qui sont des racistes haineux et impénitents".

Des titres de séjour très utilisés par la Silicon Valley

Sur le fond, les discussions se sont cristallisées autour du visa H-1B, qui permet aux entreprises de faire venir aux Etats-Unis des travailleurs étrangers dotés de qualifications élevées pour exercer une profession spécialisée, travailler comme chercheur pour le ministère de la Défense ou même faire du mannequinat. Ce titre de séjour temporaire est généralement délivré pour une durée de trois ans, pouvant être prolongée jusqu'à six ans.

Le sésame est très utilisé par la Silicon Valley, et Elon Musk est un fervent défenseur de la possibilité d'avoir recours à de la main d'œuvre étrangère qualifiée. Le patron de Tesla, de Space X et du réseau social X est lui-même né en Afrique du Sud avant d'immigrer aux Etats-Unis, puis d'être naturalisé. "Amener via l'immigration légale le top 0,1% des talents en ingénierie est essentiel pour que l'Amérique continue de gagner" sur la scène internationale, a écrit sur X, jeudi, le futur ministre de l'Efficacité gouvernementale.

L'entrepreneur Vivek Ramaswamy, qui partage avec Elon Musk cette mission de sabrer dans les dépenses de l'Etat, a également défendu le recours à des travailleurs étrangers. "Notre culture américaine a vénéré la médiocrité plutôt que l'excellence depuis bien trop longtemps", a-t-il asséné jeudi sur X. Sans changement radical, "nous allons nous faire botter le cul par la Chine".

Un discours changeant chez Donald Trump

Un discours qui dérange certaines figures conservatrices, alors que Donald Trump a été élu sur la foi d'un discours virulent et parfois raciste au sujet des immigrés. Steve Bannon, polémiste d'extrême droite qu'il l'avait conseillé lors de son premier mandat, a fustigé vendredi dans son podcast "War Room" une "escroquerie des oligarques de la Silicon Valley pour prendre les emplois des citoyens américains".

Plus subtilement, le prochain directeur adjoint de cabinet à la Maison Blanche, Stephen Miller, a reproduit sur X un discours prononcé par Donald Trump en 2020, dans lequel il s'émerveillait de la "culture" américaine qui a "maîtrisé l'électricité, fissionné l'atome, donné au monde le téléphone et internet". Celui qui était alors président avait énuméré et fait applaudir une dizaine de personnalités américaines, en soulignant que "seule l'Amérique avait pu les produire tous".

Par le passé, Donald Trump avait d'ailleurs critiqué à de multiples reprises les visas H-1B au nom de son slogan "America first" ("L'Amérique d'abord"), ici appliqué au marché du travail. Lors de sa première campagne pour la Maison Blanche, en 2016, le magnat de l'immobilier avait reconnu avoir lui-même recours à ces visas, tout en les qualifiant de "très injustes" pour les travailleurs américains. Une fois élu, il avait restreint le processus d'obtention du H-1B, avant de le suspendre en 2020, tout comme d'autres types de permis de séjour. Une mesure qui avait provoqué une levée de boucliers dans la Silicon Valley, avant d'être annulée par l'administration de son successeur démocrate, Joe Biden.

L'influence d'Elon Musk interroge

Depuis, Donald Trump semble donc avoir changé d'avis sur la question. "J'ai de nombreux visas H-1B dans mes propriétés, je crois en ce visa, c'est un excellent programme", a-t-il déclaré dans son interview au New York Post samedi, faisant abstraction de ses positions passées, sans préciser s'il comptait réformer ou non le système de visa pour les travailleurs étrangers. Elon Musk a affirmé samedi qu'il souhaitait lui-même "une réforme majeure" du visa H-1B, notamment en augmentant son coût pour l'employeur.

Certains républicains voient dans ce revirement l'influence croissante des nouveaux alliés de Donald Trump, issus du monde des affaires. "Nous avons accueilli les gars de la tech quand ils sont arrivés en courant vers nous. (...) Nous ne leur avons pas demandé de concevoir une politique migratoire", a tancé Matt Gaetz, ex-élu au Congrès, un temps désigné par Donald Trump comme futur ministre de la Justice avant de devoir renoncer. Quand Elon Musk avait torpillé presque à lui seul un accord budgétaire au Congrès visant à éviter un "shutdown", certains démocrates avaient ironisé sur le poids du "président Musk", auprès duquel Donald Trump serait finalement réduit à un rôle de spectateur.