Super-héros : avec James Gunn, DC Studios va-t-il enfin concurrencer Marvel ?

L'univers DC est mort, vive l'univers DC. Jeudi 5 décembre, la plateforme de vidéo Max diffuse "Creatures Commandos", quelques jours à peine après le point final mis à la série "Superman et Loïs", le 2 décembre.

Un passage de témoin symbolique qui acte le début de l'ère James Gunn aux manettes de DC, la franchise concurrente de Marvel, dont le catalogue compte, entre autres, Superman, Batman, Wonder Woman ou encore The Flash. Désormais co-PDG de DC Studios aux côtés du producteur Peter Safran, le réalisateur a la lourde charge de relancer la franchise, qui a essuyé de nombreux  échecs depuis deux décennies au cinéma.

Du passé, faisons table rase. James Gunn arrive avec la promesse d'un "reboot" total de l'univers, c'est-à-dire un redémarrage à zéro. Ce projet, intitulé "DC Universe" (DCU), doit créer une continuité entre les films, les séries télévisées, celles d'animation et les jeux vidéo : "Concrètement, cela signifie que nos personnages peuvent entrer et sortir de l'animation ou passer dans un jeu ou sur le grand écran, mais qu'ils resteront cohérents : même personnage, même histoire, même acteur", expliquait le cinéaste lors du festival d'animation d'Annecy en juin dernier.

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La série "Creature Commandos" fait figure de première pierre de ce nouvel univers, qui devrait ensuite prendre son envol avec "Superman" en juillet. D'un côté, une équipe de troisième zone de soldats boostés par des superpouvoirs tous plus bizarres les uns que les autres ; de l'autre côté, le super-héros le plus connu de tous les temps. Les deux projets, apparemment très différents, sont chapeautés par James Gunn en personne, histoire de lancer le DC Universe sur de bons rails avant de déléguer les futurs projets.

"Raconter un tas d'histoires différentes"

"Tout sera totalement différent", a promis le réalisateur lors d'une interview à Moviezine. "L'une des choses que j'aime chez DC Comics, c'est qu'ils ont toujours été capables de raconter des histoires différentes de différentes manières. Ils ont raconté des histoires plus familiales, des histoires plus adultes, des histoires sombres, des histoires légères. Je pense qu'en ce qui nous concerne, nous voulons simplement raconter un tas d'histoires différentes."

Cinéaste accompli, James Gunn a commencé par un travail remarqué sur le script de "Scooby-Doo" (2022) de Raja Gosnell et de "l'Armée des Morts" (2004) de Zack Snyder avant d'exploser aux yeux du grand public avec la trilogie des Gardiens de la Galaxie, réalisée pour Marvel Studios, principal concurrent de DC en matière de super-héros.

"Ce qu'a réussi James Gunn avec les Gardiens de la Galaxie, c'est se créer une boîte à outils de gueules cassées. Des personnages inconnus, des créatures et des types qui ne sont pas reluisants mais qu'on en vient à apprécier", explique Xavier Fournier, journaliste spécialiste de l'industrie des comics et animateur du podcast "Aventures fiction".

L'irrévérence a ses limites

"Comme pas mal de cinéastes de ce début de siècle, à l'instar de Sam Raimi ou Peter Jackson, James Gunn a commencé avec des séries Z, des choses irrévérencieuses qu'on associerait pas forcément à des blockbusters", rappelle Xavier Fournier. "Sauf que désormais, les grands studios américains aiment bien incorporer une dose d'irrévérence."

Mais l'irrévérence a ses limites et Internet n'oublie jamais. Des vieux tweets d'un humour noir et grinçant sont exhumés où James Gunn blague sur le sida, le viol ou l'Holocauste. Disney, propriétaire de Marvel, le licencie sans ménagement en 2018. Warner, propriétaire de DC Studios, saute sur l'occasion pour recruter le réalisateur en lui confiant un premier film "The Suicide Squad", puis une série dérivée du film "The Peacemaker", avant de lui offrir les rênes du studio.

DC Studios miné par les divisions internes

James Gunn a du travail. Si dans les pages des comics DC et Marvel sont rivaux depuis des décennies et qu’aucun n’est vraiment supérieur à l’autre, depuis la sortie d'"Iron Man" en 2008, DC a eu bien du mal à exister au cinéma face à la machine Marvel Cinematic Universe

Le studio a un temps résisté avec les Batman de Nolan (2005, 2008 et 2012), puis "Man of Steel" de Zack Snyder (2013), mais il a ensuite subi plusieurs échecs récurrents ("Green Lantern", "Batman v Superman : L'Aube de la Justice", "Suicide Squad", "The Flash") ne compensant pas les quelques succès ("Wonder Woman", "Shazam!"). 

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"Depuis 1999, Warner et DC ont un problème de bipolarité. Le choix se fait souvent en fonction du rapport de force au sein de l'entreprise plutôt que sur le créatif avec des baronnies intérieurs au sein du studio qui s'affrontent, note Xavier Fournier.

Le turnover permanent à la tête des films DC depuis 2008 montre l'étendue du problème, comme la valse des scénaristes et des réalisateurs. Dans le même temps chez Marvel, un seul homme, Kevin Feige, est aux manettes.

Les premières difficultés avant même les sorties

Avec James Gunn, DC Studios a-t-il enfin trouvé son homme providentiel ? Il dit notamment avoir rompu avec la fâcheuse manie d'annoncer une multitude de projets sans même attendre un script ou une équipe créative associée. 

Mais les belles intentions pourraient rapidement se heurter à la réalité : "Il y a aujourd'hui une bipolarité parmi les fans. Il y a une partie du public des films de super-héros qui voudrait un Superman et un Batman sombres et cyniques dans une Gotham où il pleut toujours... Et il y a le public qui voudrait plutôt le DC classique avec son Superman optimiste et propre", analyse Xavier Fournier. "Marvel n'a plus ce problème-là car ils ont déjà une audience. DC va être obligé de chasser deux lièvres à la fois."

De plus, James Gunn a aussi du mal à tenir sa promesse de repartir à zéro. De la table rase annoncée initialement, il a finalement fait le choix d'inclure rétroactivement les projets qu'il a déjà réalisé pour DC Studios à la nouvelle continuité. Des créations qui mettaient aussi en scène des acteurs dont il est proche comme son propre frère Sean Gunn.

De quoi lui valoir quelques accusations de népotisme à Hollywood : "Écoutez, quand vous êtes le frère du type à la tête du studio DC, je pense que vous pouvez jouer qui vous voulez", a notamment déclaré Zachary Levi, interprète de Shazam dans deux films mais non repris dans le nouvel univers.

Enfin sa volonté de reboot se heurte aussi au projet développé par Matt Reeves autour de Batman. Le film avec Robert Pattinson dans le rôle du vengeur masqué a été un succès populaire et critique en 2022, tout comme sa série dérivée "The Penguin" diffusée à l'automne 2024. Des suites sont prévues dans les prochaines années. Mais comme il est difficile d'imaginer James Gunn se passer de Batman dans son nouvel univers, on s'achemine vers une la cohabitation de deux versions de l'emblématique personnage au cinéma. 

Superman comme vrai test ?

Une situation que James Gunn devra gérer tout comme la lassitude du public alors que la presse spécialisée évoque régulièrement un épuisement face aux films super-héroïques."On parle surtout d'une déstructuration des réactions du public qui fait qu'on ne peut pas savoir à l'avance si un film va marcher ou non, tempère Xavier Fournier. On a encore des succès comme "Deadpool & Wolverine" mais plus rien n'est gagné d'avance", note-t-il.

"En commençant par 'Creatures Commandos', Warner débute soft ; c'est de la télévision et non pas du cinéma. Si ça ne plaît pas ça passera inaperçu ; si ça plaît James Gunn pourra se dire que c'est une première pierre à son édifice", analyse Xavier Fournier. "Il a peu à perdre et tout à gagner sur ce projet."

Pour le spécialiste, le vrai test se fera en juillet 2025 avec la sortie prévue au cinéma de "Superman" : "Quand on gère des projets à 100 ou 150 millions dollars, on s'adresse non seulement au public mais aussi aux actionnaires qui ont besoin de rentabilité. En recrutant James Gunn, Warner tente ainsi ramener stabilité et confiance", rappelle Xavier Fournier.

"Quand on ambitionne lancer un univers comme ça il faut laisser du temps au produit ; or si le film Superman est moyen ça pourrait vite tourner court", s'inquiète Xavier Fournier. "Surtout que ces dernières années, Warner commence à se demander si il ne ferait pas mieux de commencer à vendre certains de ses actifs jugés coûteux..."

Porter le poids d'un univers naissant sur ses épaules ? Une mission idéale pour Superman.