Asim Munir, le pieux chef des armées pakistanaises prêt à l'affrontement avec l'Inde
C’est l’homme vers lequel tous les regards se tournent au Pakistan, en ces temps d'affrontements militaire et diplomatique avec le voisin indien, causés par un attentat terroriste au Cachemire indien le 22 avril.
Cet homme, c'est le général Asim Munir, dont les faits et gestes sont scrutés des deux côtés de la frontière indo-pakistanaise – bien plus que ceux du Premier ministre, Shehbaz Sharif. Si c'est bien le chef du gouvernement qui a autorisé, mercredi 6 mai, les forces armées à prendre des "actions correspondantes" aux frappes indiennes au Pakistan, le haut gradé, né en 1968 et habitué à évoluer en coulisses, a commencé à se mettre davantage en avant publiquement.
Perché sur un char avec un mégaphone
Ainsi, il a fait une apparition très remarquée, le 1er mai, du haut d’un char d’assaut. Micro à la main, il a lancé un avertissement à l’Inde, assurant que "toute aventure militaire indienne entraînera une réponse rapide et résolue". Une indication claire que le temps de l'apaisement n’était pas venu.
Si les déclarations d’Asim Munir ont autant de poids, c'est qu'il serait en réalité "le personnage le plus puissant du pays", comme l'assure le New York Times dans un portrait publié le 5 mai. Peu connu hors des frontières indo-pakistanaises, il est devenu le chef d'état-major de l'armée pakistanaise en 2022 et a brièvement dirigé l'Inter-Services Intelligence (ISI), les services de renseignement du pays.
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"Le chef de l’armée est historiquement le personnage clé du pays, quel que soit la personne en poste. Il ne faut pas oublier que pendant plus de la moitié de son histoire, le Pakistan a été dirigé directement par les militaires", souligne Walter Ladwig III, spécialiste des questions de sécurité dans la région indo-pacifique au King’s College de Londres.
Au terme de la troisième période de gouvernement militaire au Pakistan (1999-2008), l’institution a gardé "la main sur les questions de sécurité internationale et sur tout ce qui a trait aux relations avec l’Inde et l’intégrité du territoire", précise Sameen A. Mohsin Ali, politologue spécialiste du Pakistan et des relations internationales dans la région d’Asie du Sud à l’université de Birmingham.
"À chaque fois qu’un Premier ministre a tenté de faire entendre une voix différente de celle de l’armée en matière de politique étrangère, il a été écarté. C’est ce qui s’est passé avec Imran Khan et Nawaz Sharif", ajoute la chercheuse. Ce dernier a été renversé par un coup d’État militaire en 1999 et Asim Munir est considéré comme l’un des architectes de la chute d’Imran Khan en 2022.
Poigne de fer
Dans la longue histoire des chefs militaires au Pakistan, "Asim Munir se distingue par une volonté d’étendre son emprise sur des secteurs du pays qui ne sont traditionnellement pas de son ressort, comme l’économie", explique Saemeen A. Mohsin Ali.
Ce général a une poigne de fer et une fibre religieuse très prononcée. "Il incarne la ligne dure et traditionaliste au sein de l’armée", affirme la politologue de l’université de Birmingham. Ainsi, c’est un général "qui met vraiment l’accent sur les origines islamique du Pakistan et son action semble en grande partie guidée par sa religiosité", explique Walter Ladwig III.
Asim Munir pousse d’ailleurs le sens du religieux très loin : "Il est ce qu’on appelle un 'Hafiz', c’est-à-dire une personne qui a appris le Coran par cœur", note Parveen Akhtar, spécialiste de la politique pakistanaise à l’université d’Aston au Royaume-Uni. "À ce titre, c’est un général des armées quelque peu inhabituel, car même si le pays est une république islamique, l’élite militaire est généralement cosmopolite et séculière", ajoute cet expert.
Le dernier commandant en chef des armées à ce point porté sur la religion était le général Zia-ul-Haq, président du Pakistan entre 1978 et 1988, et "dont le règne est qualifié de période d’islamisation du pays", précise Parveen Akhtar.
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Le poids du religieux dans l’action du chef des armées a d’ailleurs émergé au grand jour lors d’un très remarqué discours le 26 avril, soit quelques jours après l’attentat terroriste au Cachemire. Devant un parterre de cadet de l’armée à l’académie militaire du Pakistan, il a "longuement disserter sur la 'théorie des deux nations', une approche qui justifie la naissance et l’existence du Pakistan à travers le seul prisme religieux. Ces deux pays existent – d’après cette théorie –, car les musulmans et les hindous sont des personnes fondamentalement différentes qui ne peuvent pas vivre ensemble. Selon cette théorie, le Cachemire est un élément essentiel du Pakistan, pour lequel il faut se battre", résume Walter Ladwig III.
"C’est un discours perçu comme incendiaire en Inde, car il constitue une sorte de retour en arrière, alors qu’on avait l’impression d’avoir tourné la page de l’époque où on pensait que les musulmans et les hindous ne peuvent pas vivre ensemble", ajoute Saemeen A. Mohsin Ali.
Toujours plus dur envers l'Inde ?
Ce chef des armées aux penchants zélotes "risque d’être tenté d’adopter une ligne très dure à l’égard de l’Inde dans cette crise. Surtout que le Premier ministre indien, Narendra Modi poursuit lui aussi une politique de promotion du nationalisme hindou au détriment de la population musulmane", avertit Walter Ladwig III.
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Les hommes forts des deux côtés de la frontière ne semblent donc pas habités par une volonté de désescalade. Dans ce contexte, ce sont d’habitude les deux puissances tutélaires – la Chine et les États-Unis – qui font pression pour éviter un embrasement général de la région, souligne les experts interrogés par France 24. Mais cette fois-ci, "les États-Unis de Donald Trump n’ont pas pris d’initiative pour faire baisser les tensions, tandis que Pékin est occupé à négocier avec Washington. Les pays du Golfe et du Moyen-Orient, qui pourraient faire pression notamment sur le Pakistan, ont leurs propres crises à gérer. Autrement dit, il n’y a personne pour jouer les pompiers, et ça devrait nous inquiéter", craint Saemeen A. Mohsin Ali.
Pour Walter Ladwig III, ce sont les contraintes économiques, bien plus que l'intervention de puissances extérieures, qui pourraient éviter un affrontement direct. "Le Pakistan en est à son 24e plan d’aide du Fonds monétaire international, et il est l’un des pays qui doit le plus d’argent au FMI : il peut difficilement se permettre une guerre ouverte avec son voisin. Et l’Inde a également des problèmes économiques avec une croissance fragile", conclut-il.