Estanguet-Jozwicky : « Éveiller les consciences avec les Jeux Paralympiques »

Avant un train pour Lille et un entraînement à Tourcoing, Dimitri Jozwicki (4e sur 100m des Jeux paralympiques de Tokyo en 2021) a, ce mardi, partagé un temps d’échange complice avec Tony Estanguet, le président de Paris 2024. Au 7e étage de Pulse, l’immeuble du comité d’organisation des Jeux, à Saint-Denis. Avec vue dégagée sur le Stade de France. Pour toucher le rêve du doigt. À six mois des Jeux paralympiques (28 août-8 septembre).

LE FIGARO. - Quels sont, à six mois de l’événement, les défis et chantiers à mener ?
Dimitri JOZWICKI. - L’objectif est là, à quelques mètres, au Stade de France. Cela donne envie. Avant, il me faut aller chercher ma qualification. Cela va se passer en deux temps, le premier lors des Mondiaux qui auront lieu début mai (à Kobe), avec les deux premières places directement qualificatives pour les Jeux. Si ce n’est pas le cas, on aura jusqu’à mi-juillet environ pour réaliser des minima.

Tony ESTANGUET. - Je suis déjà qualifié, mais j’ai beaucoup de travail aussi. Depuis le début, on croit à cet événement. Et en même temps, il y a une part de découverte parce que c’est la première fois qu’on va organiser cet événement en France. C’est très excitant de se dire qu’on va faire quelque chose qui n’a jamais été fait dans ce pays, et on se demande aussi comment cela va se passer. Va-t-on être au niveau que l’on rêve d’atteindre ? On a essayé de mettre la barre le plus haut possible. On est des athlètes. On est ambitieux. Depuis le début, on a tout fait pour apporter notre petite touche Paris 2024 pour ces Jeux paralympiques, avec le logo, l’ambition sur l’équipe de France, unique, les sites de compétition. On essaie de tout faire avec les acteurs publics, le mouvement sportif, les entreprises qui ont augmenté de façon significative le nombre d’athlètes qu’elles accompagnent… Il y a plein d’indicateurs qui sont très excitants, mais on n’y est pas. Il y a encore de la billetterie à vendre, des enjeux de promotion, de faire se rencontrer cet événement exceptionnel avec les Français. Ce n’est pas évident. Les gens n’ont pas le réflexe de s’intéresser aux Jeux paralympiques. On y croit. Londres l’a montré, les autres aussi, après les Jeux paralympiques, les gens se disent : « Si on avait su, on se serait intéressé plus tôt. »

Où en est la billetterie ?
T. E. - On a eu un départ assez proche de nos espérances, de ce qui s'est fait dans le passé. On est aujourd'hui à 900.000 billets vendus, sur les 2,7 millions disponibles. Traditionnellement, environ la moitié des billets est vendue après les Jeux olympiques, sur le tard. On peut s'attendre à ce que ce soit aussi le cas pour Paris 2024. Tous les sports restent très accessibles. On a des places à partir de 15 euros. Il y a de très belles opportunités, n'hésitez pas à vous connecter. Pour aller voir du tennis fauteuil à Roland-Garros, de l'athlétisme paralympique au Stade de France, des épreuves de para natation à la Défense Arena, de para équitation à Versailles... Tous ces sites à partir de 15 euros. J'ai fait quatre fois les JO, avant de découvrir les Jeux paralympiques. J'ai été ému, impressionné par le niveau sportif. Ne serait-ce que les qualifications sont difficiles à obtenir. On sort aussi transformé de cette expérience parce qu'on a été exposé à un univers qu'on connaît moins bien, notre rapport au handicap. Et c'est un événement qui nous met plus à l'aise, parce qu'on voit tous les handicaps, ça permet de changer un peu le regard, d'en parler plus facilement et d'avoir une image très positive, parce que ce sont des athlètes qui arrivent à faire des choses extraordinaires et ont le sourire. Cela fait du bien au moral.

D. J. - Les Jeux paralympiques, c’est une chance. J’invite les gens à venir nous voir. Au bout de quinze ou vingt minutes passées dans le stade, on oublie vite cette question de classification, de handicap, parce que, quand on aime le sport, on vibre forcément. Quand tu vois le 100 m d’une personne amputée ou en fauteuil ou guidée, ce n’est pas le 100 m d’Usain Bolt ou d’une personne paralysée cérébrale comme moi, ça permet de changer le regard sur le handicap de façon très positive. C’est assez incroyable, parce qu’on n’est plus dans le déni du handicap. On voit une personne en capacité de…

Tous les athlètes paralympiques que j'ai pu côtoyer apportent quelque chose. Ils ont du charisme, cet état d'esprit de battant, de guerrier, d'athlètes de haut niveau.

Tony Estanguet

Les athlètes paralympiques vous inspirent Tony ?
T. E. - Tous les athlètes paralympiques que j'ai pu côtoyer apportent quelque chose. Ils ont du charisme, cet état d'esprit de battant, de guerrier, d'athlètes de haut niveau. Ils n'ont rien à envier aux grands champions olympiques. Cette équipe de France est chouette. Les athlètes le disent, ils se retrouvent tous dans cette mise en commun.

D. J. - On fait le même sport, il y a une richesse. Un athlète paralympique n'est pas né en se disant : «Je vais être champion paralympique». Il a eu un accident de la vie, une histoire qui fait qu'il se retrouve sur cette piste, dans ce bassin… cette histoire elle est commune. Les Jeux mettent l'accent là-dessus, ça nous permet aux gens de se dire pourquoi pas moi ? J'ai découvert le paralympique comme ça. Ce n'est pas dans un club qu'on m'a dit que je pouvais faire du paralympique, pas à l'école, pas tous les médecins que j'ai rencontrés depuis toujours mais en regardant les championnats du monde de parathlétisme. J'avais 19 ans. J'ai fait du rugby, du foot, de l'athlétisme avant de me rendre compte que j'avais ma chance aux Jeux paralympiques. Ca a changé ma vie. Et pour rien au monde je changerais ma situation. Elle me permet de faire des choses extraordinaires. Et d'être porteur de messages, être ambassadeur des personnes en situation de handicap. Je suis ergothérapeute dans la vie. On peut faire des choses. Le fauteuil, une prothèse ou une canne, ça ne définit en rien la personne. Je ne suis pas une infirmité motrice cérébrale, je suis Dimitri, parathlète. Le sport permet de mettre l'accent là-dessus. Ca délivre des messages qui vont plus loin que le sport. On peut être en situation de handicap et travailler en entreprise, avoir un rôle dans la société. Durant les Jeux, un événement planétaire, les regards du monde seront fixés sur nous, on essaie d'oublier tout ce qui se passe de moins bien dans le monde, ça décuple la puissance du message.

Estimez-vous que le regard des gens sur le parasport a évolué ces dernières années ?
D. J. - Oui, forcément. Tony l'a dit, certains partenaires ont pris conscience qu'il y avait aussi des athlètes à sponsoriser et à accompagner dans le parasport. Ils ont compris qu'au-delà du fait d'accompagner un athlète qui va ou non décrocher une médaille, ils relaient aussi une histoire, des valeurs. Tout le monde est gagnant. Mon souhait, qui est aussi je pense celui de beaucoup de para-athlètes, c'est que les Jeux de Paris marquent le début d'une prise de conscience à ce niveau-là aussi. Oui, on peut être en situation de handicap et faire du sport aussi.

Ce qui est important, c'est la prise de conscience que les Jeux ont engendrée, et qu'est-ce qu'on décide de faire de cette prise de conscience.

Dimitri Jozwicky

Tony, vous insistez beaucoup sur cette notion d’héritage que les Jeux doivent laisser. Ce terme est peut-être encore plus fort en ce qui concerne les Paralympiques…
T. E. - C’est évident que ce qui se joue dans l’organisation de cet événement, c’est ce qu’il va en rester. Et effectivement, on voit bien que sur les Paralympiques, il y a un potentiel encore plus grand que sur les Jeux olympiques parce qu’on part de plus loin et parce que cela impacte au-delà du sport. Sur beaucoup d’indicateurs, un effort sans précédent a été déployé, et celui-ci va laisser un héritage. Il y aura un avant et un après Jeux de Paris. Les transports seront plus accessibles après les Jeux qu’ils ne l’étaient avant. Certains diront que ce n’est pas encore suffisant, et ils en ont le droit, mais la progression sera incontestable. Idem pour la pratique du sport, avec un millier de clubs qui seront plus inclusifs qu’ils ne l’étaient auparavant, ou les infrastructures. Je pense qu’on peut saluer cela.

D. J. - Je ne pense pas que ce qui est important, ce soit de mettre l’accent sur ce qui n’a pas été fait. Il était évident que toutes les lignes du métro parisien ne pourraient pas être accessibles comme ça, en l’espace de cinq ou six ans. Ce qui est important, c’est la prise de conscience que les Jeux ont engendrée, et qu’est-ce qu’on décide de faire de cette prise de conscience. Avec Tony, nous sommes des sportifs tous les deux, et dans le sport, quand vous prenez conscience de vos faiblesses, cela marque déjà une progression.

Quel(le)s champion(ne)s les Français vont-ils découvrir lors de ces Jeux Paralympiques à la maison ?
D. J. - Je vais parler du para-athlé et vous citer Dimitri Pavadé pour sa fraîcheur et son parcours, car il revient d'une grave blessure mais je crois fort en lui pour aller chercher sa qualification. Je pense aussi à Timothée Adolphe, à Trésor Makunda qui est comme le bon vin : plus il vieillit, plus il est fort. Et il y en a plein d'autres, des jeunes aussi, et il y a surtout beaucoup d'histoires dans lesquels les gens pourront se reconnaître aussi. Car c'est cela aussi l'enjeu. Ces Jeux ne doivent pas nous servir seulement à représenter notre pays et à courir après une médaille, mais aussi à faire passer des messages.

T. E - Je suis d'accord. On ne se rend pas compte de la chance incroyable que nous avons d'avoir une génération de para-athlètes incroyables dans beaucoup de sports. Il y a des objectifs très ambitieux sur le nombre de médailles, qui ne me paraissent pas inatteignables, à savoir de doubler le nombre de médailles d'or par rapport à Tokyo (qui était de 11). Mais on a des champions exceptionnels pour y parvenir…

D. J. - En para-natation, en para-cyclisme…

T. E - Comme Alexandre Léauté, Marie Patouillet…

D. J. - Marie a un parcours assez atypique car elle est médecin et je trouve incroyable de pouvoir mettre l'accent sur ces parcours de vie.

T. E. - Franchement, cela vaut la peine de s'intéresser à ces têtes d'affiche. On pourrait parler aussi du rugby fauteuil, du basket fauteuil…

D. J. - Il faut venir les voir car ce n'est pas parce qu'ils sont en fauteuil qu'ils ne peuvent pas se rentrer dedans pour gagner un point en rugby ou en basket. Venez regarder un concours de saut en longueur entre athlètes amputés. Quand ils vont venir enlever leurs prothèses pour mettre leurs lames de course, vous allez vous retrouver avec une forêt de jambes au bord de la piste qui est très surprenante au début, mais qui dédramatise totalement le regard qu'on a d'une prothèse ou d'une personne amputée. Il faut juste les voir pour que cela devienne commun. Si on continue à cacher cela ou à ne pas en parler, cela reste tabou. Mais le sport va mettre en lumière tout cela d'un coup, avec des performances et des histoires incroyables. Le sport a ce pouvoir d'éveiller les consciences. Alors venez nous encourager et j'espère que nous pourrons fêter ensemble de belles performances.