Spectrum, la première petite fusée privée européenne, s’écrase après quelques secondes pour son vol inaugural

Le premier vol d’essai de Spectrum, la première petite fusée privée européenne, développée par la start-up allemande Isar Aerospace, s’est soldé par une explosion. Le lanceur de deux étages et 28 mètres de haut, propulsé par dix moteurs, alimentés par un mélange d’oxygène liquide-propane, n’a donc pas atteint l’orbite, après son décollage depuis la base spatiale d’Andoya en Norvège. Rapidement après son décollage, la fusée a commencé à osciller, s’est retournée puis est retombée à terre, générant un puissant bruit d’explosion, selon des images diffusées en direct sur Youtube.

Il n’en demeure pas moins que cette tentative est «historique», s’enthousiasme Josef Aschenbacher, directeur général de l’Agence spatiale européenne (Esa). Il salue «le premier lancement orbital commercial (sans charge utile à bord, NDRL) depuis l’Europe continentale». Une fois rodé, Spectrum apportera «une autonomie accrue en Europe». «Chaque seconde de vol est précieuse, car elle nous permet de recueillir des données et de gagner en expérience», expliquait Daniel Metzler, le cofondateur et patron de la jeune pousse allemande. «Trente secondes de vol seraient déjà un vrai succès», avait-il souligné. Pour Maxime Puteaux, conseiller principal au cabinet Novaspace, ce type de scénario est fréquent : «Un premier vol est toujours très risqué. Et, statistiquement, le taux d’échec est de 50% pour les trois premiers lancements d’une nouvelle fusée».

Fin août 2024, le premier vol de RFA One, le petit lanceur privé développé par RFA Augsburg, filiale du constructeur de satellites allemand OHB, avait tourné court. Lors de la mise à feu, ses moteurs avaient explosé avant même le décollage, détruisant le lanceur et endommageant le pas de tir de SaxaVord, basé à Unst (îles Shetland, Écosse). Une seconde tentative est prévue d’ici fin 2025. En mai 2024, la start-up allemande Hyimpulse a réussi le premier tir de sa mini-fusée, baptisée SR75, depuis le sud de l’Australie. Mais SR75 ne boxe pas dans la même catégorie que Spectrum ou RFA One : il s’agit un lanceur suborbital, doté d’un unique étage et d’une capacité d’emport de 250 kilos. Le vol a servi à tester une technologie de propulsion à base de paraffine, c’est-à-dire de cire de bougie. Et à préparer le vol inaugural du lanceur orbital SL1, doté d’une capacité d’emport de 600 kilos à 500 km de la Terre, programmé fin 2025.

Le modèle SpaceX

Isar Aerospace prépare activement les prochains vols : «Les lanceurs Spectrum 2 et Spectrum 3, qui embarqueront des charges utiles, sont déjà en production. Isar Aerospace sera donc de retour sur le pas de tir très prochainement». La jeune pousse rappelle que «personne n’a réussi un vol orbital du premier coup. SpaceX l’a tenté quatre fois avant de réussir» avec Falcon 1, sa première fusée. Isar Aerospace «est l’exemple le plus emblématique de la tentative de transposer le modèle New Space américain en Europe», souligne Maxime Puteaux. D’ailleurs, SpaceX est son modèle. Et la start-up bénéficie des conseils de Bulent Altan, ex-vice-président de la société spatiale d’Elon Musk, et fondateur de la société de capital-risque Alpine Space Ventures.

Cet ingénieur a travaillé sur l’avionique des fusées Falcon 1 et 9 ainsi que sur le vaisseau Dragon. «Nous ne nous appuyons pas sur des années de simulation informatiques, en espérant réussir parfaitement du premier coup. Nous privilégions les tests en conditions réelles pour progresser rapidement», explique une porte-parole d’Isar Aerospace. Cette dernière applique les méthodes qui ont si bien réussi à SpaceX : développement et prototypage rapide et à bas coût, intégration verticale de la production (90% réalisés en interne), usine automatisée implantée dans la banlieue de Munich, recrutements de jeunes ingénieurs passionnés, qui ne comptent pas leurs heures.

«Isar a sauté l’étape du micro-lanceur. Spectrum s’inspire de Falcon 9 dans son architecture mais se situe dans la gamme de performance de Falcon 1, capable de déployer jusqu’à 1 tonne en orbite basse, visant la demande des petits satellites et des constellations», explique Maxime Puteaux. De quoi concurrencer Ariane 6 et la petite fusée italienne Vega C. Pour développer ce premier lanceur, Isar Aerospace a levé 400 millions d’euros depuis le lancement du projet en 2018. Ce qui en fait la start-up la mieux financée du New Space européen. Parmi ses investisseurs, Airbus Ventures, le fonds Early Bird ou encore Porsche SE, holding qui détient des participations dans l’automobile (Porsche et Volkswagen). Isar a reçu très peu de subsides publics, estimés à 15 millions, via l’Esa, et le DRL, l’agence spatiale allemande.

Un carnet de commandes bien rempli

La société a déjà un carnet de commandes bien rempli, représentant deux ans d’activité. La start-up OroraTech a par exemple choisi Spectrum pour lancer ses nano satellites, destinés à l’alerte avancée de détection de feu de forêts. Airbus Defence & Space, l’agence spatiale norvégienne, l’Esa et le DLR ont également signé des contrats. Isar espère aussi participer au déploiement des satellites d’Iris2, la future constellation souveraine européenne. En plus de la base spatiale d’Andoya, la start-up organisera des lancements depuis Kourou en Guyane. Elle a en effet été sélectionnée par le Centre national d’études spatiales (CNES) pour y opérer. Elle prévoit d’investir des dizaines de millions, pour y installer ses infrastructures. Avec ces deux pas de tir, la société vise entre 30 et 40 lancements par an.

Isar Aerospace affiche de grandes ambitions : développer, à partir de Spectrum, des fusées plus capacitaires et réutilisables. En somme devenir le SpaceX européen. Et offrir à l’Europe une alternative crédible et moins coûteuse à Ariane 6. Avec ce premier tir et les suivants, la jeune pousse a de forte chance de figurer parmi les lauréats du concours lanceurs (European Launchers Challenge) que l’Esa vient de lancer. Objectif ? Doter l’Europe d’un mini-lanceur appelé à devenir plus puissant pour donner un successeur à Ariane 6 vers la fin de la décennie 2030. À la clé : 169 millions de financement public.