Composer un gouvernement, construire un budget, bâtir un accord de non-censure... Les cinq travaux du premier ministre François Bayrou
Le nouveau premier ministre est un homme d’expérience. François Bayrou sera-t-il l’homme de la situation ? La tâche qui l’attend est pour le moins ardue. Son prédécesseur, Michel Barnier, lui aussi fort d’un CV politique bien rempli, en a fait les frais au terme d’une primature de trois mois seulement. La même montagne de difficultés s’élève déjà devant le nouvel hôte de Matignon, qui devra manœuvrer habilement dès les premiers jours.
Composer un «gouvernement d’intérêt général»
À peine ses valises posées à Matignon, François Bayrou doit déjà se soumettre au même casse-tête que son éphémère prédécesseur : former un «gouvernement d’intérêt général», comme l’a formulé Emmanuel Macron dans son allocution télévisée, le 5 décembre dernier. Rien n’oblige le premier ministre à nommer dans l’immédiat sa nouvelle équipe, dont la composition devrait prendre encore plusieurs jours, voire semaines.
Dès cet été, le patron des centristes a fait part de sa disponibilité au chef de l’État pour former «une équipe de salut public», composée de «personnalités de caractère», «hors extrêmes», et capable de dialoguer avec les syndicats. Comme Michel Barnier, il pourrait tenter de rallier plusieurs profils issus de la gauche, dont l’ancien premier ministre socialiste, Bernard Cazeneuve, qu’il avait invité en septembre dernier à la rentrée parlementaire du MoDem. Encore une fois pressenti cet hiver, l’ex-ministre de l’Intérieur de François Hollande bénéficiait des faveurs de François Bayrou, qui l’aurait bien vu décrocher Matignon à l’été dernier. Quelques heures après l’annonce présidentielle, Bernard Cazeneuve lui a d’ailleurs adressé «tous (ses) vœux de réussite» sur X.
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Le démocrate-chrétien risque néanmoins de se heurter aux mêmes difficultés que son prédécesseur de droite, qui n’avait réussi à débaucher qu’un ancien socialiste, Didier Migaud (Justice). La ligne «humaniste», pro-européenne et social-réformiste dont se targue le nouveau premier ministre ne suffira pas à convaincre le PS de sauter le pas. Dans un communiqué publié ce vendredi, Olivier Faure et les siens ont prévenu qu’ils «ne participeront pas» au gouvernement de François Bayrou. Mais garderont un œil vigilant sur le «casting», dont pourrait dépendre le sort de l’ancien ministre.
Boudé sur sa gauche, l’allié historique du chef de l’État pourrait reconduire plusieurs ministres de la précédente équipe, en poste depuis seulement trois mois. Dans son casting pléthorique, Michel Barnier s’était d’ailleurs entouré de trois représentants du MoDem : Jean-Noël Barrot (Quai d’Orsay), Geneviève Darrieussecq (Santé) et Marina Ferrari (Économie du tourisme). Sur les rangs, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau, se verrait bien prolonger son bail à Beauvau, sans préciser si l’offre valait aussi sous François Bayrou. Les deux hommes devaient s’entretenir ce vendredi soir.
Bâtir un accord de non-censure
Pour tenir sur la durée, François Bayrou espère arracher un «accord de non-censure» avec les forces politiques, contre des gages comme le renoncement à la méthode de force de l’article 49.3. Avant même de nommer le premier ministre, Emmanuel Macron avait chargé le successeur de Michel Barnier de la délicate mission de bâtir les conditions d’une non-censure pour rester en poste jusqu’à la fin de son quinquennat. La droite et une partie de la gauche - sauf LFI - n’ont pas totalement fermé la porte à cette piste, chacun brandissant ses conditions respectives.
Encore incertain, l’accord pourrait en tout cas se révéler précieux pour le centriste, déjà sous le coup d’une motion de censure déposée par les Insoumis. Prévue le jour du discours de politique générale, la manœuvre a toutefois peu de chances d’aboutir : les autres forces du Nouveau Front populaire (NFP) - PS, EELV, PCF - ont pour l’instant refusé de s’y associer. À eux seuls, les partis de gauche ne peuvent d’ailleurs atteindre la majorité absolue et les 289 voix nécessaires à renverser un gouvernement.
Mais l’aventure contrariée de Michel Barnier a montré que le couperet pouvait tomber plus vite que prévu. Surtout si les troupes du Rassemblement national et leurs alliés ciottistes - qui représentent ensemble 142 députés, et constituent la troisième force politique dans l’Hémicycle - décident de voter une motion de censure avec la gauche.
À la différence de son prédécesseur auquel Marine Le Pen reprochait un «manque de considération», la figure du camp présidentiel entretient une forme de respect à l’égard de la patronne des députés RN. Bien qu’intraitable avec les positions de parti à la flamme, il lui avait accordé son parrainage lors de la dernière élection présidentielle au nom du pluralisme. Relaxé en février dans une affaire semblable à celle qui touche le RN - le parquet a fait appel de la décision -, François Bayrou a jugé sévèrement les réquisitions du parquet dans le procès des assistants parlementaires du Front national.
Ces marques d’attention lui suffiront-elles à provoquer la clémence du parti, qui lui éviterait de connaître le même sort que Michel Barnier ? La double-candidate à la présidentielle épargne pour l’instant le centriste qu’elle juge auprès du Figaro «intelligent» et «politique». Avant de prévenir, quelques plus tard, ne pas avoir «pris d’engagement» sur une non-censure. «Je n’y renonce pas», a-t-elle mis en garde. Le patron du RN, Jordan Bardella, a en tout cas écarté ce vendredi midi une motion de censure «a priori», tout en rappelant les lignes rouges de sa formation.
La déclaration de politique générale, un rituel décisif
Une fois son équipe révélée et peut-être un accord noué, François Bayrou devra ensuite se plier au traditionnel exercice de la déclaration de politique générale (DPG), ligne directrice de son action à Matignon. Un long discours très attendu par les oppositions qui, à l’exception des Insoumis, ont pour l’instant écarté une «motion de censure a priori». Signe que l’avenir du centriste reposera en partie sur ce premier grand oral devant les deux chambres.
La coutume veut par ailleurs que le premier ministre demande le même jour un vote de confiance après avoir détaillé sa feuille de route. Un rejet de l’Assemblée nationale condamnerait d’office à la démission du nouveau gouvernement. Comme son prédécesseur, François Bayrou ne devrait pas prendre le risque de s’y brûler les ailes, tant l’Hémicycle, sans majorité claire, ressemble à une poudrière. Ni Gabriel Attal ni Élisabeth Borne ne s’étaient à l’époque soumis à l’usage, tous deux confrontés à une situation de majorité relative.
Construire un budget 2025
En reprenant le flambeau de Matignon, François Bayrou sait qu’il lui faudra réussir là où son prédécesseur a échoué. Renversé au bout de trois petits mois sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), Michel Barnier n’a pas eu le temps d’aller au bout du budget 2025. À peine nommé, son successeur doit donc reprendre urgemment la difficile rédaction de ce mastodonte législatif, malgré des possibilités limitées par le dérapage des comptes publics. La loi spéciale, qui doit être examinée la semaine prochaine au Parlement, n’est en effet composée que de trois articles pour autoriser le gouvernement à lever les impôts et assurer la continuité de l’État.
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Avec un déficit qui pourrait dépasser les 6% du PIB à la fin de l’année, «la dette financière est une réalité qui s’imposera à tout gouvernement, quel qu’il soit», a prévenu mercredi Michel Barnier, lors du dernier conseil des ministres. Pour son ministre démissionnaire du Budget, Laurent Saint-Martin, deux choix s’imposeront à la prochaine équipe : reprendre les textes budgétaires qui étaient débattus avant la censure ou «tout réécrire de zéro».
Au défi de rassurer les marchés et la Commission européenne, François Bayrou a peu de temps devant lui. La chute de son prédécesseur a suspendu les aides prévues pour les secteurs en difficulté, dont celles dédiées à l’agriculture. D’ici-là, le nouveau premier ministre devra trouver un terrain d’entente avec les oppositions pour faire adopter son texte. Sans quoi il risquerait à son tour de trébucher sur le budget jusqu’à être renversé en cas d’activation de l’article 49.3.
Reprendre une pile de dossiers brûlants
Une pile de dossiers brûlants et potentiellement explosifs attend le nouveau premier ministre. Parmi lesquels celui du secteur agricole, dont les aides promises ont été suspendues par la censure du précédent gouvernement. Surtout, les agriculteurs, qui ont notamment muré des permanences de députés, redoutent les conséquences d’un potentiel accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur.
Le premier allié d’Emmanuel Macron ne devrait pas non plus échapper à l’épineux sujet des retraites, alors que la gauche et les syndicats réclament toujours l’abrogation de la réforme d’Élisabeth Borne. Au point que le texte contesté, qui a repoussé progressivement l’âge de départ à la retraite à 64 ans, pourrait faire voler en éclats un éventuel «pacte de non-censure». Par le passé, François Bayrou s’était lui aussi montré critique de cette réforme qu’il avait jugé «perfectible».
Autre repoussoir pour le NFP, le nouveau projet de loi sur l’immigration promis par Bruno Retailleau, dont l’avenir reste suspendu à sa reconduction place Beauvau. Là encore, le chef du gouvernement risque d’être pris en étau par les oppositions : d’un côté par la gauche, qui en a fait une ligne rouge, et de l’autre par la droite et les nationalistes qui plaident pour des mesures de fermeté. Avant d’être renversé, Michel Barnier avait par ailleurs promis une reprise du travail parlementaire sur la fin de vie, fauchée par la dissolution puis remis à l’ordre du jour dans une proposition de loi. Un dossier de plus sur lequel François Bayrou devra statuer dans les prochaines semaines.