INTERVIEW. "Adolescence" sur Netflix : "Le masculinisme est une idéologie finalement banale et répandue dans toutes les sphères et les strates sociales", analyse une anthropologue

Depuis sa sortie le 13 mars sur Netflix, la mini-série britannique "Adolescence" cartonne au point que le Premier ministre britannique Keir Starmer qui l’a visionnée avec ses enfants, soutient sa diffusion dans les écoles du pays. La série lance un débat de société notamment sur l'endoctrinement masculiniste d'un collégien. Il ne s'agit pas d'un phénomène récent, selon Mélanie Gourarier, anthropologue, chercheuse au CNRS et au Centre Norbert Élias. Cette spécialiste de l’étude des masculinités, interrogée par franceinfo, est l'auteure de Alpha Mâle, aux éditions Seuil, en 2017. 

franceinfo : L'influence des sphères masculinistes via les réseaux sociaux sur les adolescents, que met en avant la série Netflix "Adolescence", est-elle un phénomène répandu en France ?

Mélanie Gourarier :  Ce qui me pose question, c’est que l'on parle du masculinisme et tout particulièrement des "sphères masculinistes" via les réseaux sociaux, comme d’un "phénomène". Cela sous-entend qu’il s’agit de quelque chose d’hors norme, d’exceptionnel, avec des proportions énormes et nouvelles. Or, je travaille sur ces questions depuis près de 15 ans et à l’époque, on parlait déjà du masculinisme comme d’un "phénomène" d’une gravité autant exceptionnelle que nouvelle. Ce traitement un peu sensationnel ne permet pas de saisir le masculinisme comme une idéologie finalement banale et répandue dans toutes les sphères et les strates sociales, sans qu’on puisse même dater à quand elle remonte exactement. Finalement, en parlant du masculinisme comme d’un phénomène, on masque l'importance et la gravité du sujet. Par ailleurs, en se focalisant comme dans la série Netflix sur la jeunesse, qui serait particulièrement en proie à l’idéologie masculiniste, on ne voit pas que ça dépasse largement la jeunesse, que ce ne sont pas que les jeunes hommes qui sont impliqués, mais tout le monde, y compris des hommes plus âgés et en position de pouvoir dans la société. 

L'effet du "masculisnisme", si puissant dans nos sociétés, est en réalité extrêmement banal, et c'est ainsi qu'il faut le traiter.

Mélanie Gourarier

à franceinfo

franceinfo : Que pensez-vous du personnage principal de la série, l'adolescent de 13 ans ? 

Mélanie Gourarier : Ce qui me surprend dans la réception de la série, c'est justement l'effet de surprise, comme si c’était la première fois qu’on abordait la question du masculinisme du point de vue d’un homme très jeune ultra-violent, un peu marginalisé et mal dans sa peau, sous influence des réseaux sociaux, qui va avoir recours à une extrême violence. J’ai l’impression qu’il s’agit plutôt là d’un archétype bien ancré dans la culture populaire. Il correspond en tout point à l’imaginaire qu’on a du masculinisme : un jeune homme blanc de classe moyenne, sans histoire, qui est comme une bombe à retardement dangereuse et donc qu’il faudrait parvenir à débusquer avant qu’il ne passe à l’acte.

Ce que je trouve plus intéressant est justement l’ambiguïté du personnage qui en fait aussi sa banalité. Il est ambivalent, à la fois petit garçon perdu qui a besoin de son papa, soucieux de ce qu’on pense de lui, inquiet de ce qu’il va lui arriver mais indifférent aux effets de ses actes. Il semble peu s’intéresser aux femmes finalement, bien qu’il visionne des photos de femmes plus ou moins dénudées et qu’il est "travaillé" par sa sexualité. Sa mère et sa sœur ne semblent pas compter. Il ne semble pas comprendre qu’il a donné la mort à la victime dont il parle au présent. Lors de la scène de l'entretien avec la psychologue, le personnage alterne entre manipulation, séduction, agressivité, ce qui est représentatif d'une masculinité problématique. Il ne tient donc pas des propos frontalement sexistes, mais c’est sa manière d’être et de penser toute entière qui suinte le patriarcat. 

Franceinfo : Comment aborder les pratiques des adolescents auprès de parents qui semblent démunis, dépassés, inquiets ?

Mélanie Gourarier : Les différentes archives en témoignent : les parents de toutes les époques sont démunis par les pratiques de la jeunesse. En tant que chercheuse, je suis inquiète de la façon dont on traite la jeunesse aujourd'hui, la méfiance à son égard, qu'elle soit perçue comme nécessairement violente, nécessairement anomique, c'est-à-dire produisant du désordre. Je m'interroge sur l'état de répression dans lequel grandit la jeunesse aujourd'hui. On ne peut que s'inquiéter de ce qu'elle va advenir, pas en raison de ses pratiques - qui sont toujours des pratiques transgressives de jeunesse, les blousons noirs, le rock, le rap, les jeux vidéo, les réseaux sociaux, la pornographie, etc. - mais de la défiance qu'elle subit aujourd’hui.