Médiation pour un cessez-le-feu à Gaza : "le Hamas est devenu un fardeau pour le Qatar"

L'annonce par le Qatar de la suspension de sa médiation entre Israël et le Hamas a douché les derniers espoirs d'un accord de trêve dans la bande de Gaza et de libération des otages israéliens retenus dans le territoire palestinien.

L’Émirat gazier qui s’est imposé depuis le début de la guerre comme le médiateur régional par excellence, du fait qu’il abrite sur son territoire le bureau politique du mouvement islamiste palestinien et la plus importante base militaire américaine au Moyen-Orient, a jeté l’éponge après une nouvelle tentative de négociations, fin octobre.

"Le Qatar les reprendra lorsque les parties feront preuve de volonté et de sérieux" dans les négociations en vue de mettre fin aux hostilités, a expliqué le porte-parole des Affaires étrangères Majed Al Ansari dans un communiqué.

Doha aura obtenu une brève trêve il y a 11 mois, au cours de laquelle des dizaines d'otages ont été libérés, les cycles de négociations successifs s’étant conclus par des échecs en raison des surenchères des deux parties.

Même la mort de Yahya Sinouar, tué par l’armée israélienne le 16 octobre à Gaza, décrit par l’administration Biden, partenaire, avec l’Égypte, du médiateur qatari, comme un obstacle majeur dans les négociations, n’a pas permis de faire aboutir les pourparlers.

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La prise de distance de Doha est intervenue après la victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine. L’émirat garde un amer souvenir du premier mandat du milliardaire républicain, durant lequel, en juin 2017, l'Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Yémen et le royaume du Bahreïn avaient rompu leurs liens diplomatiques et fermé leurs frontières avec le Qatar. Avec un feu vert américain tacite.

Pour comprendre la décision du Qatar et ses enjeux, France 24 a interrogé Karim Sader, consultant spécialiste des pays du Golfe.

 

France 24 : Malgré leurs efforts, les médiateurs qataris n’auront réussi qu’à obtenir une seule semaine de trêve, fin novembre 2023. Peut-on peut parler d'un échec pour leur diplomatie ?

Karim Sader : Il ne faut pas faire de mauvais procès au Qatar tant il y a de raisons qui expliquent l’échec de sa médiation. L’émirat a commencé cette mission avec des facteurs très désavantageux et deux acteurs jusqu'au-boutistes qui s'accusent en permanence de faire échouer les négociations. Il y a d’un côté le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et son gouvernement va-t-en-guerre que rien ne peut stopper et qui pose des conditions qui sont tout sauf de l'ordre du compromis. De l’autre côté, le Hamas prêt à tout pour faire échec à l’armée israélienne et qui reste ferme dans ses exigences comme le retrait total de l'armée israélienne de la bande de Gaza. Cette médiation était perdue d'avance d’autant plus qu'un troisième acteur censé l’aider dans cette médiation, je parle de l'administration Biden, a donné une carte blanche au gouvernement de Netanyahu, avec lequel elle s’est montrée plus que conciliante en lui maintenant un soutien militaire et financier total. C'était donc trop en demander au Qatar. La trêve de novembre, négociée avec succès par Doha, a tout de même permis de faire libérer une centaine d’otages israéliens retenus à Gaza, alors que Benjamin Netanyahu est toujours accusé, en Israël, d’être peu préoccupé par leur sort.

Le Qatar n’est pas parvenu à influer sur les positions du Hamas, même après la mort de Yahya Sinouar, l'ex-chef politique du Hamas, tué à Gaza et considéré, par Washington, comme le principal obstacle à la conclusion d'un accord. Comment l’expliquez-vous ?

Le Qatar a perdu depuis un moment toute influence sur le Hamas. Avant la guerre et avec la bénédiction des Israéliens, le rôle de Doha était de maintenir à flot financièrement le mouvement palestinien, sur le plan politique et sur le plan administratif. Mais à partir du moment où le gouvernement israélien a décidé d'éradiquer le Hamas, après le 7 octobre, les Qataris ont perdu tout levier sur ses dirigeants, éliminés les uns après les autres.

Une rupture est-elle désormais envisageable entre Doha et le Hamas ?

Vu l'avenir qui se dessine dans la région avec le retour de Donald Trump au pouvoir, le Qatar n'a plus intérêt à afficher une quelconque proximité avec le Hamas qui est devenu un fardeau plus qu'autre chose. Pour Doha, l’intérêt de la présence du Hamas au Qatar était notamment de nourrir son rôle de médiateur régional. Sauf qu’aujourd'hui cela ne peut plus continuer. On ne négocie plus avec le Hamas dont l’avenir sur le plan politique est plus qu’incertain. L’autre intérêt était d'offrir à l'émirat la possibilité d’avoir la carte palestinienne en main, la carte d’une cause populaire dans le monde arabe. Donc quelque part Doha anticipe les changements à venir et donc ne veut plus s'accommoder de cette relation avec le Hamas qui est devenue beaucoup trop encombrante, surtout dans la perspective d’une administration Trump extrêmement pro-israélienne. Il ne veut pas se mettre à dos son allié principal qui est Washington. 

Il n’est donc pas anodin que l’annonce de la suspension de la médiation qatarie soit intervenue quelques jours après la victoire de Donald Trump aux États-Unis?

Non, effectivement, ce n'est pas anodin. Mais il ne faut pas imputer cette suspension à cette simple conjoncture. Elle a certainement accéléré la prise de décision, mais entre la perspective d'un échec annoncé et le retour au pouvoir de Donald Trump qui comprend de nouveaux paramètres et un chamboulement de la politique régionale, il devenait nécessaire de stopper cette médiation qu’il n'avait plus aucun intérêt à continuer. D'autant plus qu'elle comporte des risques pour le Qatar, sur le plan régional.

Ceci dit, nous ne sommes plus en 2017, lorsque Donald Trump avait tacitement donné carte blanche à Riyad et ses alliés du Golfe désireux de faire rentrer dans le rang le Qatar, à la diplomatie trop indépendante. Et ce, au prix d’une rupture des relations et d’un blocus de l’émirat gazier. D'abord le Qatar a retenu la leçon et s’est réconcilié avec ses voisins. De son côté, l'Arabie saoudite n'est plus dans une perspective d'affrontement avec l'Iran et les pays du Golfe sont plus unis qu'avant dans un monde de plus en plus multipolaire refaçonné par les conflits régionaux et la guerre en Ukraine. Les traditionnels alliés arabes de Trump et des États-Unis ne sont plus tout à fait alignés sur les positions américaines comme avant, et se tournent, selon les dossiers, vers d’autres puissances comme la Russie et la Chine.

Quelques voix critiques se sont notamment élevées dans le camp républicain, lors de la campagne présidentielle américaine, contre le rôle joué par le Qatar dans la guerre entre Israël et le Hamas. Doha doit-il craindre le retour aux affaires du milliardaire républicain ?

Il est trop tôt pour parler des conséquences du retour de Donald Trump à la Maison Blanche sur les relations avec le Qatar, qui reste un allié traditionnel des États-Unis et qui abrite la principale base américaine dans la région. Cet émirat a toujours été pointé du doigt aux États-Unis, par les administrations républicaines et dans le camp occidental de manière générale. Mais le Qatar, en catimini, reste un médiateur bien utile, dont beaucoup se sont servis et ont fait appel à ses services dans différentes crises. Notamment Washington lors du retrait des troupes américaines d’Afghanistan, en août 2021.

Dans le cas d’un cessez-le-feu à Gaza, est-il envisageable que le Qatar puisse être pressé à terme par Donald Trump de signer un accord identique aux accords d'Abraham, qui ont scellé le rapprochement entre Israël et plusieurs pays arabes ?

Donald Trump, qui ne veut plus entendre parler de conflits au Moyen-Orient, le voudrait certainement. Mais je pense, que pour l'instant, le Qatar sera l'un des derniers pays arabes à franchir ce pas. Les accords d'Abraham ont été des accords prématurés en décalage avec les opinions arabes. Avec la guerre au Moyen-Orient et la destruction de Gaza qui coûte la vie à tant de civils, les pays qui seraient susceptibles de signer de tels accords vont imposer des conditions beaucoup plus importantes sur la question palestinienne, comme celle de la création d’un État palestinien. Une question que les accords d'Abraham avaient quasiment totalement balayée. Les pays signataires de ces accords ont été mis devant le fait accompli de la guerre à Gaza qui les a plongé dans un profond embarras. Les candidats suivants en ont tiré les leçons et réfléchiront par 100 fois avant de sceller un rapprochement. Alors que dire du Qatar qui est parmi les pays du Golfe, celui qui a le plus soutenu la question palestinienne ?