Fermeture de l’A13 : serait-il vraiment possible de rendre l’A14 gratuite ?

Depuis la fermeture de l’autoroute A13 entre Vaucresson (Hauts-de-Seine) et Paris vendredi, en raison de fissures découvertes sur la chaussée, des élus réclament la gratuité temporaire des itinéraires bis. Après le député (Renaissance) des Yvelines Karl Olive ou le maire (divers droite) de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) Éric Berdoati, c’est la présidente (LR) de la région Île-de-France Valérie Pécresse qui a demandé dimanche «à l'État de prendre en charge la gratuité de l'A14 pour garantir l'accès à Paris pour tous durant les travaux».

Travaux qui pourraient durer encore quelques jours. Alors que la portion d’autoroute devait initialement rouvrir ce lundi, ce ne sera finalement pas avant «le milieu de la semaine» au mieux, «si et seulement si toutes les conditions de sécurité sont réunies», a prévenu ce lundi matin sur France Bleu Sophie Dupas, directrice adjointe de la Direction des routes d'Île-de-France (Dirif).

Contacté, l’entourage de Valérie Pécresse indique «ne pas avoir eu de réponse du gouvernement ou de l'État». De son côté, le député Karl Olive demande également la gratuité du Duplex de l’A86, ce tunnel de 10 kilomètres de long qui relie Rueil-Malmaison à Vélizy en passant par Vaucresson. Le médiatique élu, proche d’Emmanuel Macron, a précisé avoir contacté le préfet des Yvelines et le ministre des Transports. Sur Franceinfo, il a par ailleurs déploré la «fin de non-recevoir» qu’il aurait reçue des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Modifier les contrats de concession ?

Car, si la portion de l’A13 fermée est gérée par l'État français, représenté par la Direction des routes d'Île-de-France (Dirif), il n’en est pas de même de l’A14 ni du Duplex A86. La première est exploitée par SAPN (Société des autoroutes Paris-Normandie), filiale du Groupe Sanef. Pour le second, c’est Vinci Autoroutes. Contactée, la Sanef indique qu’elle «ne fera pas de commentaires sur le sujet». Vinci Autoroutes n’a de son côté pas répondu à nos sollicitations. Interrogé lundi sur le sujet à l’occasion d’un déplacement dans les Hauts-de-Seine sur le thème de la filière vélo, le ministre des Transports Patrice Vergriete n’a pas exclu une telle mesure. «C’est un élément qu’on va examiner, comme d’autres. Le problème, c’est que ça ne donne pas des éléments de flux supplémentaire. (…) Néanmoins, ça fait partie des réflexions qu’on peut avoir», a-t-il déclaré, promettant plus de détails ce lundi soir ou mardi, une fois la date de réouverture connue. «Ce soir, au plus tard demain, on devrait avoir une réponse technique qui nous permette de voir quand on va rouvrir cette autoroute» a indiqué le ministre.

Pour les experts interrogés par Le Figaro, les marges de manœuvre dont dispose l’État pour tordre le bras des concessionnaires, et les contraindre à une gratuité temporaire des itinéraires alternatifs, sont limitées. «En aucun cas il n’y a d’article dans les contrats de concession qui dit : vous devez permettre la gratuité s’il y a une faille», pointe Jean-François Calmette, maître de conférences à l'université de Perpignan et auteur de l’ouvrage Les autoroutes, une affaire d’État (éditions LGDJ, 2021).

Donc «cela suppose une modification du contrat de concession, modification qui peut intervenir de deux façons, estime Laurent Richer, professeur de droit public et ancien avocat. Soit les deux parties sont d’accord et un avenant est conclu, qui prévoit par exemple que le concessionnaire consente à la gratuité ou à une diminution de tarif pendant une période donnée. Mais la particularité des concessions est que les contrats et les avenants doivent être approuvés par décret pris en Conseil d'État. Et cela peut prendre un peu de temps.» Seconde solution, avancée par ce spécialiste des contrats publics : une modification unilatérale du contrat par l’État. «Mais dans ce cas, l’État a l’obligation d’indemniser le concessionnaire», précise Laurent Richer. Ce que semble proposer Valérie Pécresse. «Mais cela ne peut pas se faire du jour au lendemain», pointe le professeur de droit public.

Spécialiste du droit des concessions, Jean-Baptiste Vila estime lui que l’État n’aurait pas forcément besoin de toucher aux contrats de concession. Mais ce ne serait pas sans contrepartie. «Soit la société négocierait avec l’État une compensation. Et si l’État prenait une décision unilatérale qui impose de rendre l’A14 gratuite, la société saisirait le juge administratif et obtiendrait forcément une compensation», développe le maître de conférences en droit public à l’Université de Bordeaux et à l’Université de la Polynésie française (UPF). Compensation qui pourrait prendre la forme d’une indemnisation directe de l’État, ou qui pourrait retomber sur les usagers de l’A14, via une hausse des tarifs l’an prochain. Dans tous les cas, «il faudrait que l’État agisse vite» pour que les automobilistes puissent en profiter, confirme Jean-Baptiste Vila. Néanmoins, juridiquement comme techniquement, une gratuité temporaire pourrait être appliquée «dans l’heure», affirme-t-il.

Geste commercial

Quoi qu’il en soit, le débat dépasse le simple cadre juridique. «On pourrait imaginer que les concessionnaires, en dehors du droit, décident de suspendre la perception des péages, dans un geste purement commercial», imagine Laurent Richer. Si cela ferait du bien à l’image de ces sociétés, critiquées depuis des années pour les tarifs des péages, «cela pourrait être difficile à admettre du point de vue du droit des sociétés, car cela reviendrait à faire un acte de gestion gratuit», souligne Laurent Richer. «Elles ont intérêt à faire un effort, à faire un geste, même s’ils ne gratuisent pas complètement», estime lui l’économiste spécialiste des transports Marc Ivaldi. Par le passé, elles ont prouvé qu’elles étaient capables de le faire, par exemple en proposant des ristournes aux péages, sous conditions. Dernier exemple en date, à l’été 2023, après un appel en ce sens du ministre des Transports de l’époque, Clément Beaune. Jean-Baptiste Vila, à l’inverse, juge un geste commercial «utopique».

Un tel geste serait d’autant plus apprécié que l’autoroute A14, solution de repli pour les automobilistes, est l’un des axes les plus chers de France. Les particuliers doivent en effet débourser jusqu’à 10,60 euros pour parcourir la vingtaine de kilomètres de ce tronçon. Pour le Duplex de l’A86, la tarification dépend de l’horaire et de la journée. Il faut compter par exemple jusqu’à 14,50 euros les vendredis et veilles de jours fériés de 17h à 19h. «Les alternatives sont hors de prix !», témoigne ainsi Pauline, 34 ans, qui a dû payer 11,20 euros dimanche soir pour rentrer chez elle dans les Hauts-de-Seine depuis l’Essonne, via l’A86. Sans compter la crainte d’embouteillages monstres sur les itinéraires bis. Dimanche et ce lundi matin, si le trafic sur certains axes a été particulièrement dense (N12, A86 et N118 notamment), le grand engorgement a (pour le moment) été évité.