Notre critique d’Il viaggio, à l’Opéra de Paris : un voyage qui se mérite

Notre critique d’Il viaggio, à l’Opéra de Paris : un voyage qui se mérite

« Il viaggio », jusqu’au 9 avril au Palais Garnier (Paris 9e). Bernd Uhlig / Opéra national de Paris

CRITIQUE - Créé au Festival d’Aix en 2022, « l’operatorio » de Pascal Dusapin fait escale au Palais Garnier. Toujours aussi hypnotique mais servi par la beauté sonore de l’orchestre de l’Opéra.

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Dès son entrée en fonction, Alexander Neef, directeur de l’Opéra national de Paris, a mis le doigt sur un défaut de la politique de création des théâtres lyriques : les nouvelles œuvres sont jouées une fois et disparaissent de l’affiche. C’est pourquoi, plutôt que de multiplier les premières mondiales, il s’attache aux « deuxièmes auditions ». C’est actuellement le cas au Palais Garnier, avec la première parisienne d’Il viaggio, Dante, créé au Festival d’Aix-en-Provence en juillet 2022, et co-commandé par l’Opéra de Paris.

Il est toujours précieux de revoir et de réentendre un ouvrage pour lequel, par définition, on n’avait aucun point de comparaison. En l’occurrence, cette deuxième écoute, avec le même chef et la même production scénique, a plutôt confirmé les impressions ressenties à Aix il y a deux ans et demi.

Mise en scène narrative

L’œuvre est statique – Dusapin ne s’est jamais caché de penser à l’oratorio – mais il s’en dégage une vraie poésie mélancolique, non dépourvue d’un certain pouvoir hypnotique. À vrai dire, cela dépend beaucoup de votre degré de réceptivité. Happé par la vitesse du monde contemporain, vous risquez d’être guetté par l’ennui, 1h50 sans entracte étant une durée exigeante. Mais, si vous acceptez d’entrer dans ce temps méditatif, le voyage annoncé dans le titre vaut la peine.

On a été plus frappé que la première fois par le contraste entre une écriture vocale très lyrique et fidèle à la mobilité de la langue italienne, et une écriture orchestrale jouant sur la durée étale, avec force pédales et unissons, mais aussi des alliages de couleurs troublants et lancinants. Kent Nagano est à nouveau au pupitre pour rendre justice à cet espace-temps sonore, avec pour atout supplémentaire la beauté sonore de l’orchestre de l’Opéra.

On retrouve la mise en scène très narrative de Claus Guth, qui choisit d’humaniser l’Enfer de Dante, audacieusement choisi par Dusapin. Il va en chercher les stations dans l’inconscient d’un homme grièvement blessé dans un accident de voiture, et qui revit son rêve d’un éternel féminin purement fantasmé. L’interprète de la création, Jean-Sébastien Bou, étant engagé dans le Werther du Théâtre des Champs-Élysées, c’est le grand Bo Skovhus qui lui succède, voix abîmée mais présence écrasante. On retrouve avec plaisir la flamme de la mezzo Christel Loetzsch en jeune Dante, la démesure grinçante de Dominique Visse dans ses apparitions monstrueuses, et le suraigu acidulé de Jennifer France en Béatrice fétichisée. Nouveaux dans leurs rôles : la belle basse David Leigh en Virgile, et le narrateur éloquent de Giovanni Battista Parodi, pour un voyage intérieur qui se mérite.

« Il viaggio », jusqu’au 9 avril au Palais Garnier (Paris 9e).