REPORTAGE. "On inonde les élèves d'eau" : comment les écoles marseillaises font face aux températures extrêmes
Au fond de la cour, une file d'attente. "J'ai soif !", lance un garçon en bermuda et claquettes. "Dépêche-toi !", s'impatiente un autre, le tee-shirt trempé de transpiration. Sous un cagnard de 30°C, lundi 23 juin, les élèves de l'école élémentaire Breteuil, dans le 6e arrondissement de Marseille, ont de quoi se rafraîchir dehors avec les deux lavabos à leur disposition. Les uns après les autres, ils se mouillent la nuque, le visage, les cheveux, en plus d'engloutir des litres d'eau.
Un peu plus loin, dans ce tout petit espace bétonné où ont lieu les récréations, Laggoune arrose d'autres enfants avec un vaporisateur. "A moi ! A moi !" Autour de ce surveillant, c'est la cohue pour recevoir de l'eau sur la figure. Parfois, il se sert carrément du tuyau d'arrosage. "Il faut faire attention à ne pas trop les mouiller non plus. J'ai toujours peur qu'ils se blessent en glissant."
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Dans la cité phocéenne, les élèves ne connaissent pas encore les sueurs des examens du mois de juin, mais bien celles du réchauffement climatique. Lundi, il faisait en moyenne dans l'Hexagone 6,7°C de plus que dans le passé (1971-2000) , quand le climat n'était pas encore beaucoup influencé par les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines, selon la station météo la plus proche, située à Marignane. Jusqu'à mercredi soir au moins, la ville est également placée en vigilance jaune canicule par Météo-France. Il devrait y faire plus de 30°C encore pendant plusieurs jours.
Si d'autres régions de la France hexagonale suffoquent depuis mi-juin, Marseille reste l'une des villes les plus exposées au dérèglement climatique. Déjà entamée, la hausse des températures y sera de plus en plus spectaculaire au fil des années. Selon le site de prévisions météorologiques Climatdiag, développé par Météo-France, il est attendu en moyenne 26,3°C à l'ombre, l'été, en 2100 dans la métropole méditerranéenne, contre 22,4°C sur la période 1976-2005. Autre chiffre qui donne le tournis : le nombre de jours où la barre des 35°C est passée dans l'année pourrait être de 12. Contre zéro auparavant.
Surtout, le bâti scolaire à Marseille est tristement réputé pour sa vétusté. Raison pour laquelle la municipalité de gauche a fait de la rénovation des écoles, et de leurs cours de récréation, l'une des priorités de son mandat, dans le cadre du "Plan écoles". Cette feuille de route s'inscrit elle-même dans le plan "Marseille en grand" annoncé par Emmanuel Macron en 2021. En clair : la situation étant particulièrement préoccupante pour les élèves et le personnel qui les encadre, l'Etat met la main au porte-monnaie pour aider la collectivité. Le coût total du projet s'élève à 1,5 milliard d'euros pour la rénovation des 470 écoles publiques de la ville.
Environ 500 000 euros pour une école
L'établissement Breteuil fait partie de ceux qui ont d'ores et déjà profité de rénovations importantes. Isolation extérieure pour la façade exposée plein sud, pose de stores brise-soleil dans les classes, remplacement par des LED des vieux néons qui dégagent de la chaleur... "Ce qui a été réalisé ici est le plus efficace que l'on puisse faire", assure Pierre-Marie Ganozzi, adjoint à la mairie de Marseille, selon qui cette école faisait partie, à la base, des très mal loties.
Dans une classe, des brasseurs d'air ont également été fixés au plafond – les autres classes ne seront pas toutes équipées avant 2026. Même si, de l'avis de plusieurs élèves, ce dernier dispositif est peu utile, car il fait circuler "de l'air chaud". Environ 500 000 euros ont été investis pour cette école. Quant à la cour, elle n'a pas pu être végétalisée.
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L'une des particularités de Breteuil est qu'elle se situe dans une rue ultra-fréquentée par les voitures. Autrement dit : la chaleur y est forcément plus étouffante que dans un lieu sans véhicules, qui plus est arboré. Dans son rapport "Chaud dehors ! De la fraîcheur face aux îlots de chaleur urbains", publié en 2018, l'Agence d'urbanisme de l'agglomération marseillaise a par exemple relevé une différence de 15°C, le 14 juillet 2017, entre la place Castellane, non loin de Breteuil, et le jardin du Pharo.
Carafes remplies et cours adaptés
Ces derniers jours, en raison des fortes chaleurs puis de la canicule, la mairie a engagé des mesures court-termistes supplémentaires dans ses écoles, avec le déploiement de 1 600 ventilateurs, notamment à Breteuil. Il s'agit aussi, pour les membres du personnel, d'appliquer des mesures de bon sens – comme celle d'asperger d'eau les élèves durant les récréations. A la cantine, Corinne, responsable des agents de l'école, s'assure que "les carafes soient systématiquement remplies". Lundi, les élèves se sont rués sur les yaourts, bien frais, ne touchant presque pas à leur bœuf bourguignon.
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Avec le thermostat qui explose, Cynthia*, élève en CE2, rapporte avoir du mal à se concentrer. "J'essaye de pas y penser mais ça m'arrive quand même dans ma tête", explique celle dont le bras droit plâtré est rempli de dessins colorés. Sa voisine de table, elle, explique avoir "l'habitude", car elle vivait auparavant à l'île Maurice. "Je ne comprends pas pourquoi on nous dit de pas courir pendant la récré !", s'exclame la fillette, habillée d'un tee-shirt Lilo et Stitch, un film de Disney.
Les enseignants adaptent également leurs cours. "Je ne peux pas les faire travailler normalement l'après-midi. Alors on fait de la lecture, ou quelque chose d'assez ludique mais qui demande peu de concentration", expose une professeure. Elle dit aussi "inonder d'eau" ses élèves, hyperbole qu'elle utilise pour faire comprendre qu'elle les fait beaucoup boire en classe, parfois avec du sirop de grenadine "pour leur donner de l'énergie".
Selon elle, les enfants sont très conscients de la crise climatique. Illustration par un élève de CM2 interrogé au hasard dans la cour : "Il y a un trou dans la couche d'ozone, alors qu'elle est censée nous protéger du soleil. C'est à cause de la pollution !"
Des familles dans l'attente et en colère
Ailleurs dans Marseille, des familles s'estiment lésées par la municipalité. A l'école maternelle Alexandre-Copello, dans le 5e arrondissement, Catherine et Sonia, membres de l'association des parents d'élèves, déplorent l'inertie des élus de la mairie centrale ces dix dernières années au sujet de la cour de récréation, dont une partie est très exposée au soleil. Selon elles, des demandes d'ombrière ont été formulées de nombreuses fois, parfois même avec l'appui d'architectes.
Alors que la cité phocéenne est confrontée à de très fortes chaleurs depuis début juin, la fille de Catherine lui a rapporté avoir "saigné du nez" trois fois une même journée, lors des temps de récréation. Selon cette mère de famille, des élèves ont également eu des "insolations". Pour protéger les enfants, Catherine, avec l'appui d'autres parents, a donc pris l'initiative, le 15 juin, d'installer des voiles d'ombrage.
Mais le lendemain, la Ville a fait le choix de démonter ces ombrières pour en mettre une en bois. Une réactivité express qui interroge Catherine : "Quelque chose détonne. Cela donne l'impression que, durant toutes ces années, il y avait un entrepôt d'ombrières quelque part. Et qu'on aurait pu obtenir une installation bien plus tôt." Elle ajoute que la pergola choisie par la mairie n'est pas adaptée aux enfants, avec notamment des "bords saillants" qui pourraient blesser les élèves lors des jeux.
Pour Sonia, il s'agit d'une "négligence" de la sécurité des enfants difficile à comprendre. Mais selon Pierre-Marie Ganozzi, les voiles d'ombrage étaient tout aussi dangereuses, car elles pouvaient "s'arracher" avec le vent. Sur le délai d'attente, l'adjoint au maire juge que "ce n'est pas parce que les gens crient qu'ils ont raison et qu'ils seront prioritaires".
"On ne peut pas tout faire en même temps, c'est évident", poursuit Pierre-Marie Ganozzi. Il souligne que Marseille souffre d'une "dette grise colossale", soit le surcoût financier qui résulte d'un sous-entretien chronique des infrastructures de la ville sur des dizaines d'années. Et qu'elle mettra beaucoup de temps à se résorber. En parallèle, le réchauffement climatique, lui, s'accélère.
* Les prénoms des enfants ont été modifiés.
Depuis le XIXe siècle, la température moyenne de la Terre s'est réchauffée de 1,1°C. Les scientifiques ont établi avec certitude que cette hausse est due aux activités humaines, consommatrices d'énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz). Ce réchauffement, inédit par sa rapidité, menace l'avenir de nos sociétés et la biodiversité. Mais des solutions – énergies renouvelables, sobriété, diminution de la consommation de viande – existent. Découvrez nos réponses à vos questions sur la crise climatique.