Boualem Sansal, écrivain franco-algérien critique du pouvoir détenu par les autorités algériennes
Depuis son arrivée à l’aéroport d’Alger samedi 16 novembre, il n’a plus donné de nouvelles. De retour de France, Boualem Sansal aurait été arrêté par les autorités algériennes à sa sortie de l’avion, selon plusieurs médias français.
Auteur renommé, l’écrivain franco-algérien de 75 ans a remporté plusieurs prix prestigieux dont le grand prix du roman de l'Académie française et le prix du premier roman.
Empreints d’un fort regard social, ses récits fictifs explorent les bouleversements du monde contemporain et investissent le thème de l’identité, en particulier dans son pays d'origine, l'Algérie, dont il critique depuis plusieurs années les dérives autoritaires.
Exploration de l’Algérie postcoloniale et critique de l’islamisme
Boualem Sansal est né en 1949 à Tala Hamza, au cœur de l'Algérie, d’un père d'origine marocaine et d'une mère ayant reçu une éducation à la française. Il a 13 ans lorsque l’Algérie proclame l’indépendance, le 5 juillet 1962, après 132 ans de colonisation française. Il grandit dans un pays marqué par les cicatrices de cette période douloureuse et les turbulences de l’indépendance.
De formation littéraire, il exerce en tant qu’enseignant, avant de devenir chef d'entreprise puis haut fonctionnaire. À 48 ans, il se lance dans l’écriture. Les années noires de la guerre civile, qu’il a vécue de près, imprègnent ses premiers romans, notamment "Le Serment des barbares" (1999), qui brosse le portrait d’une société déchirée, aux mains d’un pouvoir corrompu.
De ses débuts en littérature à son statut d’auteur reconnu sur la scène internationale, Boualem Sansal n’a cessé de dénoncer les dérives politiques de son pays. Plus largement, son œuvre s’apparente à un cri contre l'intolérance, le totalitarisme, l’islamisme et les manipulations idéologiques.
Parmi ses romans célèbres, "Le Village de l'Allemand" (2008) évoque à la fois la Shoah, la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises.
En 2015 paraît "2084", référence au classique "1984" de George Orwell, son plus gros succès commercial et critique. Il y imagine un monde sous dictature islamiste, dépourvu de libertés, rythmé par les prières et les châtiments corporels en public.
Ses prises de position lui attirent parfois des accusations d'islamophobie, dont il se défend inlassablement. "Je n'ai jamais dit quoi que ce soit contre l'islam qui justifierait cette accusation […]. Ce que je n'ai cessé de dénoncer, c'est l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques et sociales", expliquait-il à l'AFP en 2017.

Accusé de falsification historique
Reconnu à l’international pour ses talents littéraires et son courage, Boualem Sansal est l’objet de nombreuses attaques en Algérie, où il est perçu comme une personnalité sulfureuse et provocatrice. Pourfendeur du régime qu’il qualifie d’"oligarchie mafieuse", il dénonce la corruption et la répression exercée à l’encontre des voix dissidentes. "Je suis légitime en Algérie, c’est au pouvoir de partir", déclarait-il en 2011 dans une interview à Jeune Afrique.
Boualem Sansal n’a jamais quitté son pays ; il partage sa vie entre la France, dont il a obtenu en 2024 la nationalité, et sa résidence de Boumerdès, ville côtière à une cinquantaine de kilomètres d’Alger. Si les autorités algériennes n’ont pas encore communiqué sur les raisons d'une telle interpellation – d'ailleurs non confirmée par le pouvoir –, celle-ci serait liée à de récents propos polémiques sur les frontières algériennes.
"Des poursuites pénales seraient engagées contre lui après des déclarations faites depuis un mois sur un média français sur la supposée appartenance de l’Ouest algérien au Maroc", explique sur France 24 le correspondant en Algérie de la radio en langue arabe Monte Carlo Doualiya, Fayçal Metaoui. "Ces propos ont suscité l’indignation et la colère en Algérie, ils sont qualifiés d’historiquement faux, infondés et dangereux par les historiens."
Dans une interview avec le média d'extrême droite Frontières, l’auteur a affirmé que durant la colonisation française, "toute la partie ouest de l'Algérie faisait partie du Maroc", citant en exemple les villes d’Oran et de Tlemcen. "Les positions politiques de Boualem Sansal ne sont pas nouvelles et sont souvent ignorées en Algérie", poursuit le correspondant, mais "l’intégrité territoriale du pays est considérée comme une ligne rouge".
Boualem Sansal pourrait être accusé d’"atteinte à l’intégrité territoriale de l’Algérie, atteinte à l’unité nationale et atteinte et incitation à la division du pays", des faits passibles d’une peine de prison.
Le président français Emmanuel Macron s'est dit "très préoccupé par la disparition" de l'écrivain, l'Élysée précisant que "les services de l'État sont mobilisés pour clarifier sa situation". Plusieurs responsables politiques français ont exprimé leur inquiétude depuis jeudi, notamment l'ex-Premier ministre Édouard Philippe, qui a estimé que l'écrivain "incarne tout ce que nous chérissons : l'appel à la raison, à la liberté et à l'humanisme contre la censure, la corruption et l'islamisme".
Ces événements interviennent dans un contexte diplomatique tendu entre France et l'Algérie, après l'appui de Paris au plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental fin juillet. Le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est contrôlé de facto en majeure partie par le Maroc. Mais il est revendiqué par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, qui réclament un référendum d'autodétermination et sont soutenus par Alger.
Avec AFP
