Programme nucléaire, guerre en Ukraine… A quoi va servir l'accord stratégique que viennent de signer la Russie et l'Iran ?

Jour de fête au Kremlin, pour une photo historique. Le président iranien, Massoud Pezeshkian, a été reçu en grandes pompes par son homologue russe Vladimir Poutine, vendredi 17 janvier au Kremlin. Les deux hommes ont signé un accord de partenariat stratégique global entre leurs deux pays. Celui-ci permettra "de dynamiser nos liens et de les renforcer", a souligné le dirigeant iranien. Son interlocuteur a salué pour sa part un pacte offrant "un nouvel élan dans presque tous les domaines de coopération", lors d'une conférence de presse conjointe, après la signature.

L'accord intervient quelques jours avant l'investiture de Donald Trump et après la chute de Bachar al-Assad, qui était soutenu par les deux pays. Pour autant, voilà plusieurs années que Moscou et Téhéran travaillent sur un rapprochement stratégique. "L'idée, pour l'Iran, est un peu de reproduire l'accord signé avec la Chine en 2020, afin d'institutionnaliser la coopération dans plusieurs domaines", résume auprès de franceinfo Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques, spécialiste de l'Iran. L'ancien président Ebrahim Raïssi [mort en mai 2024], d'ailleurs, avait déjà mené des discussions avec la Russie."

Le document n'a pas été diffusé, mais le programme nucléaire iranien figurait bien dans les échanges, selon des sources officielles auprès des médias russes. Moscou, signataire en 2015 de l'accord de Vienne sur le contrôle du programme nucléaire iranien, "est pour le nucléaire civil iranien mais contre l'arme nucléaire pour l'Iran", résume Thierry Coville.

Un volet économique, sur fond de sanctions

Historiquement, la Russie a d'ailleurs participé à la construction d'un réacteur nucléaire à Bouchehr, dans la seule centrale actuellement opérationnelle en Iran. Moscou fournit également de l'uranium enrichi. "L'Iran cherche à développer le nucléaire civil, et cela fait des années qu'on parle de contrats avec la Russie pour la construction de réacteurs nucléaires", reprend Thierry Coville. Il est probable que cet accord permette de finaliser certains projets en ce sens

La centrale nucléaire de Bouchehr (Iran), le 28 avril 2024, a bénéficié de partenariats avec la Russie. (FATEMEH BAHRAMI / AGENCE ANADOLU VIA AFP)

Les deux pays, par ailleurs, travaillent sur un corridor ferroviaire et naval de transport international Nord-Sud, reliant la Russie et l'Inde, via Bakou (Azerbaïdjan) et Téhéran, et permettant de contourner certaines sanctions internationales. Un dossier au long cours, bien que le ministre des Infrastructures et des Transports russe se soit déjà rendu en Iran. "On a beaucoup parlé de coopération pour contourner les sanctions occidentales, mais dans ce volet, Téhéran se tourne davantage encore vers la Chine", souligne Thierry Coville. A l'inverse, Moscou et Téhéran sont concurrents dans d'autres domaines économiques, puisqu'ils sont tous deux exportateurs de gaz et de pétrole.

L'accord signé vendredi comporte également un volet militaire, qui a de grandes chances de rester secret. "L'Iran a fourni des drones [les fameux Shahed, notamment] et des missiles balistiques à courte portée, qui n'ont pas encore été utilisés dans la guerre en Ukraine", rappelle Thierry Coville. Cette information avait été confirmée à l'automne par un député iranien auprès d'un journal local, avant que les autorités ne fassent machine arrière. Ces livraisons avaient déclenché, il y a quelques mois, des sanctions européennes contre plusieurs compagnies maritimes. "En retour, l'Iran attend depuis longtemps des avions de chasse russes, car il s'agit d'une faiblesse de son armée", ajoute le chercheur.

Les deux dirigeants pourraient-ils aller plus loin encore, sur le modèle de la coopération entre Moscou et la Corée du Nord, qui s'est soldée par l'envoi de soldats nord-coréens dans la guerre ? Le chef de la diplomatie iranienne, Abbas Araghchi, cité par des médias russes, a affirmé cette semaine que le traité avec Téhéran ne visait pas à "créer une alliance militaire" similaire. "L'Iran est un pays très sourcilleux concernant sa souveraineté, souligne Thierry Coville, et ne verrait pas l'intérêt d'envoyer des soldats se faire tuer en Ukraine." De même, la signature d'un accord d'assistance mutuelle en cas d'agression n'apparaît pas crédible, tant cela "ne correspond pas à la façon de faire de l'Iran".

La construction d'un "nouvel ordre" international

Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, a estimé que le traité avait pour objectif de "développer les capacités" des deux pays, notamment pour "assurer une capacité de défense fiable". Abbas Araghchi voit, lui, dans ce partenariat un "pas vers la création d'un monde plus juste et équilibré" et la construction d'un "nouvel ordre", selon des propos cités par l'agence Ria Novosti. "Ce qui rapproche les deux pays, c'est leur opposition quasiment structurelle aux Etats-Unis", analyse Thierry Coville.

Mais au-delà de cette animosité, Téhéran a dû se tourner vers Moscou pour des raisons concrètes. Quand Donald Trump a appliqué sa politique de pression maximale sur l'Iran, en 2018, Téhéran n'a pas eu d'autre choix que de se tourner vers la Russie et la Chine. "Sur un plan symbolique et diplomatique, l'Iran, puissance moyenne, a en effet besoin du soutien de pays membres du Conseil de sécurité." Moscou a joué un rôle important pour l'intégration de l'Iran à l'Organisation de coopération de Shanghai (2023) et au groupe des Brics (2024).

Cet accord stratégique, aussi significatif soit-il, n'est pas synonyme d'alliance sur le modèle de l'Otan. "Entre l'Iran et la Russie, c'est de la realpolitik, chacun défend ses intérêts, et Téhéran essaie de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier." Il reste encore aujourd'hui des points sensibles entre les deux pays. En 2023, la diplomatie russe a par exemple défendu une résolution pacifique pour résoudre un différend territorial entre les Emirats arabes unis et l'Iran, chacun revendiquant l'île d'Abou Moussa et les îles de la Grande Tumb et de la Petite Tumb, dans le golfe Persique. Cette affaire avait alors terni les relations au beau fixe entre Moscou et Téhéran.